« Start-up », une expression souvent associée à l’économie israélienne. En effet, Israël est considéré comme la start-up Nation, le pays où ce type d’entreprises fleurit. Mais que recouvre le concept ? LPH vous propose un dossier sur les start-up afin de tout savoir grâce à l’analyse d’un spécialiste et aux témoignages d’entrepreneurs ayant lancé leur start-up.
Bernard Nabet a monté en 2008 le bureau israélien de Crédit Agricole Private Equity en association avec Crédit Agricole Private Banking. Il a permis la levée de plus de 40 millions de dollars destinés à l’investissement en Israël dans le secteur hi-tech et plus précisément dans les start-up et les meilleurs fonds hi-tech israéliens. Aujourd’hui, parallèlement à ces activités, il crée « AxessVentures », plate-forme d’investissement online destinée aux investisseurs privés accrédités (possédant plus de 500.000 euros d’euros actifs financiers). Il propose un accès aux meilleures start-up israéliennes aux côtés des fonds d’investissement hi-tech ou des business angels israéliens et américains les plus importants. Bernard Nabet est donc une référence dans le monde des start-up qu’il sait évaluer. Il nous donne des explications afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière le concept.
Le P’tit Hebdo : Quelle est la définition d’une start-up ?
Bernard Nabet : Il s’agit d’une société qui se crée sur la base d’une innovation technologique ou d’un service innovant, aussi bien dans le domaine de la hi-tech, que dans celui des sciences de la vie. Elle nécessite de lever des fonds rapidement, notamment en raison des grands besoins en matière de Recherche et Développement, dans un premier temps puis pour financer son développement marketing et commercial. Pour résumer, une start-up est une société qui propose un produit innovant et qui ne s’autofinance pas, ce sont des investisseurs spécialisés (Business Angels et fonds de Capital Risque ou Venture Capital) qui s’en chargent. Ces start-up sont vouées à réaliser une sortie, un « exit », soit en étant rachetées, soit en étant introduites en bourse dans leurs dix premières années.
LPH : Comment se déroule la vie d’une start-up ?
B.N. : On distingue essentiellement quatre phases :
- Seed (l’amorçage). Cette période s’étend jusqu’à 18 mois, dans la plupart des cas. C’est le point de départ, la réunion d’une petite équipe autour de l’idée afin de développer un premier produit. Le financement nécessaire est relativement faible à ce stade (entre 50.000 et 300.000 dollars) mais il est aussi difficile à trouver. En effet, quand on est investisseur, on sait que le risque encouru à ce stade est très élevé, aucune réelle garantie ne pouvant être donnée par les fondateurs de la start-up. Les fonds dit « amicaux » (famille, amis, personnel) sont souvent à la base de cette première étape. Par ailleurs, l’État propose des aides, il y a aussi des « incubateurs » financés en partie par l’État qui permettent aux entrepreneurs de faire grandir leur projet pendant deux ans, de faire leurs premières preuves et ensuite d’attirer des investisseurs extérieurs.
- Early Stage (Stade premier). La durée de cette étape est variable entre un et trois ans. Le produit est construit, finalisé, l’équipe s’étoffe. C’est lors de cette période que l’on commence véritablement à parler de « start-up ». Un premier prototype est mis au point et on trouve ses premiers clients (early adopters). Il est important de rapidement parvenir à tester son produit sur le terrain. Les premiers chiffres d’affaires arrivent et il est alors plus facile de s’adresser à des investisseurs. Néanmoins, le risque est encore grand, puisqu’on estime que plus de 50% des start-up échouent à ce stade.
- Middle Stage (Stade intermédiaire). La start-up présente déjà quelques millions de dollars de chiffre d’affaires. Il s’agit à ce moment-là de renforcer le développement général de la société : expansion commerciale à l’étranger, les USA en priorité puis l’Europe et l’Asie, développement d’une gamme de produits, structuration de l’équipe. Cette étape dure entre trois et quatre ans. À ce stade, la start-up est bien valorisée, et du côté des investisseurs la concurrence commence à être rude.
- Exit (Sortie). Arrivée à un certain stade de maturité et de succès, les investisseurs veulent réaliser leur investissement. Pour cela, il existe deux options. La première est le rachat par un grand groupe technologique ; la seconde est l’introduction en bourse. Pour pouvoir envisager cette deuxième option, la start-up doit être très solide, avoir très bien réussi et s’adresser à un marché très important. Dans les faits 90% des exits des start-up sont des acquisitions par des grands groupes, les introductions en bourse restant assez rares. Une fois l’exit réalisé, on ne parle plus de start-up.
LPH : Il y aurait au NASDAQ plus de sociétés israéliennes cotées que de sociétés européennes. Est-ce lié au fait qu’Israël soit la « start-up nation » ?
B.N. : Effectivement, sur le marché du NASDAQ Israël est en troisième position, derrière les États-Unis et le Canada. Il faut savoir qu’Israël est le deuxième marché mondial de l’investissement hi-tech, à égalité avec le Royaume-Uni. On y investit chaque année, dans les start-up, entre 3 et 4 milliards de dollars soit le double de la France et le triple de l’Allemagne. De plus, 65% de ces milliards investis viennent de fonds d’investissement étrangers, essentiellement américains, un peu asiatiques et très peu européens. Le marché des investisseurs européens reste donc encore largement à développer.
LPH : Quels conseils donneriez-vous à ceux qui pensent lancer leur start-up ?
B.N. : Je pense que l’équipe est primordiale. Il faut monter une petite équipe de deux ou trois personnes complémentaires et la renforcer avec des personnes expérimentées au fur et à mesure du développement de la start-up. Ensuite, le projet doit être muri. On doit procéder à une analyse stratégique, apporter une innovation sur un marché potentiel intéressant. Il est important d’avoir une très bonne maîtrise technologique, mais aussi une très bonne vision du marché et de la concurrence. Enfin, il faut constamment rechercher des sources de financement qui puissent vous conseiller et vous accompagner dans votre développement. Créer une start-up nécessite beaucoup d’argent.
LPH : Vous qui êtes du côté des investisseurs, comment réussit-on un bon investissement dans le monde des start-up ?
B.N. : Ce qui compte c’est d’avoir accès aux bonnes start-up et au bon stade de leur développement. Pas trop tôt, parce qu’alors les risques sont trop grands, même si tous les indicateurs sont au vert, mais pas trop tard parce que dès qu’une start-up commence à vraiment se distinguer, les investisseurs se bousculent et les valorisations montent très vite. Afin de réussir son investissement, il faut donc évoluer dans l’écosystème des start-up, pouvoir investir des sommes importantes, être en contact permanent avec les acteurs principaux du secteur (fonds de Venture Capital et Business Angels israéliens et américains) et être très réactifs car seuls une dizaine d’investisseurs arrivent à accéder aux bons projets !
C’est ce que je propose à travers la plate-forme d’investissement AxessVentures. Je mets à profit mon expérience de plus de huit ans dans le hi-tech israélien et donc mon réseau au service des investisseurs privés. Ils auront accès à plusieurs start-up prometteuses ayant atteint un stage de développement entre « early et middle stage ». Chaque investisseur inscrit pourra construire librement son portefeuille d’investissements en choisissant les start-up et les montants qu’il souhaite investir (montant minimum par investissement de 15.000 dollars). Notre plate-forme permettra alors de créer un pool de plusieurs investisseurs, d’atteindre une capacité d’investissement de plus de 500.000 dollars par start-up et ainsi d’accéder aux futurs champions de la hi-tech israélienne.
LPH : En conclusion, le surnom de « start-up nation » va pour longtemps être celui d’Israël ?
B.N.: Je suis d’accord car on observe en Israël un renouvellement permanent, une réactivité exceptionnelle et un esprit unique d’initiative et de créativité. C’est la raison pour laquelle je conseille fortement aux investisseurs de s’intéresser au marché israélien.
Pour aller plus loin :
« Pas de place aux doutes »
L’histoire de Raphael Amzallag est intéressante à double titre puisqu’elle est celle d’une alya réussie et d’une start-up bien lancée. Depuis le mois de novembre 2012, il est le directeur d’une start-up baptisée « Manage your trip » qu’il a montée avec son frère Yossef. Il propose une solution complète en ligne pour les professionnels du tourisme. Pour faire simple, Manage your trip permet à ses clients d’organiser des séjours touristiques de groupe de façon optimale grâce à des logiciels informatiques spécialement conçus pour cela.
« Il faut avoir un certain tempérament »
L’histoire de la start-up de Raphael a commencé lorsqu’il était étudiant en informatique : « parallèlement à mes études, j’étais guide touristique. C’est sur le terrain que j’ai eu l’idée de créer ce concept, parce que je m’apercevais de tous les dysfonctionnements dans l’organisation des voyages de groupe d’une part, et de l’augmentation de ce type de séjours d’autre part ».
Raphael est déjà marié et père d’un enfant lorsqu’il se lance dans l’aventure. Il le reconnaît : « Pour ce genre de projet il faut avoir un certain tempérament. On doit avoir une capacité à faire plusieurs choses en même temps. À vrai dire, je crois que la vie quotidienne israélienne nous forme à ce type de caractère. En effet, un Israélien doit gérer ses études/un travail, les milouim, la construction de son foyer… Cela doit aussi expliquer pourquoi beaucoup d’Israéliens montent des start-up : cet aspect ne les effraie pas » !
Fonder sa start-up demande du temps et consiste en une prise de risque. Comment avez-vous géré cela, tout en étant marié ?
Raphael rend hommage à son épouse : « Elle m’a soutenue dès le premier jour. Elle me connaît : j’ai toujours travaillé pendant mes études pour être indépendant, ce n’était pas étonnant que je me lance à mon compte. Elle le savait et a toujours été convaincue que c’était le projet qu’il me fallait ». Le jeune entrepreneur n’a pas ignoré les risques. Il était conscient, lorsqu’il s’est jeté à l’eau, que parmi les très nombreux projets de start-up, il n’y en a pas beaucoup qui arrivent à émerger. Mais il a su s’entourer : son épouse, bien entendu, mais aussi son frère Yossef qui lui a prodigué les bons conseils. Raphael s’est donné les moyens : « Pendant sept mois, j’ai travaillé d’arrache-pied, j’ai écrit les lignes de code. C’est vrai que cette période est difficile : on est seul. Mais il faut la passer du mieux possible pour pouvoir lever ensuite les fonds importants dont on a besoin pour se lancer ».
N’avez-vous pas eu des moments de doute ?
« Il n’y a pas de place pour le doute ! Je dirais que je me suis posé des questions, mais je n’ai pas douté. C’est sûr que lorsque je voyais mes copains de promo qui touchaient déjà au minimum 15.000 shekels par mois alors que je peinais pour gagner seulement 5000 shekels, cela m’amenait à me poser des questions. Mais pas de doutes, non ».
Aujourd’hui, seulement trois ans après le lancement de sa start-up, Raphael peut se féliciter de son succès. Manage your trip emploie 22 personnes, possède 19 clients dont 5 à l’étranger. Une succursale a déjà été ouverte en France et bientôt une deuxième verra le jour en Allemagne. « J’ai été surpris par le dynamisme de l’aventure », avoue Raphael. « Une start-up doit progresser de façon exponentielle pour survivre. Le nombre d’erreurs autorisé est très limité. L’argent est difficile à lever et très vite on peut manquer de liquidités. C’est une expérience qu’il faut gérer avec beaucoup de précaution ».
Être en Israël, est-ce un atout pour monter sa start-up ?
Raphael a pu le constater : Israël est un pays très ouvert et très favorable à l’entreprenariat. « Je m’en suis d’autant plus aperçu lorsqu’on a ouvert notre succursale en France ». Par ailleurs, le melting-pot israélien amplifie la capacité des entreprises à s’ouvrir vers l’international puisque l’on a, potentiellement, comme employés des personnes proches de cultures du monde entier. Enfin, Raphael reconnaît que lorsqu’il se présente comme une société de hi-tech israélienne, cela donne un gage de garantie et de qualité sur le marché international.
Et l’exit ?
Raphael et son frère Yossef n’y pensent pas pour l’instant. « Nous ne partageons pas cette conception de la start-up. Nous développons un business model intéressant à moyen terme. Et surtout, nous avons été élevés dans une mentalité qui nous dicte d’apporter à notre pays. Au-delà de notre parnassa, Manage your trip, c’est aussi un créateur de richesses et d’emplois pour l’État d’Israël. Cet aspect idéologique compte pour nous ».
« Prendre conseil auprès des personnes d’expérience »
David Vatine et trois amis se sont décidés six mois avant la fin de leur service militaire, en 2012 : ils sortiraient de l’armée avec un projet professionnel amorcé. Ainsi est née l’histoire de la start-up « Netbus ». Elle ne durera qu’un temps, aujourd’hui les quatre amis se sont séparés, Netbus n’existe plus, elle n’a pas tenu. David nous raconte l’histoire d’une expérience et non pas d’un échec, parce que lui, qui a su rebondir, remerciera toujours pour chaque instant de la courte vie de sa start-up.
Fatigué d’attendre le bus ?
Qui n’a jamais attendu le bus pendant des minutes qui paraissaient être des heures, en se demandant quand il allait bien arriver ? C’est en partant de ce postulat très répandu que David a eu l’idée de Netbus. Il a commencé à en parler à trois de ses amis, quelques mois avant d’être libéré de l’armée. « On a pensé à une application qui permettrait de savoir, en temps réel, où se trouve le bus et combien de temps il nous reste à attendre ». Il s’avère que le ministère des transports avait déjà, à l’époque, équipé les bus de GPS. La solution la plus simple et la moins couteuse pour David et ses amis était de négocier avec l’autorité gouvernementale pour pouvoir utiliser ces GPS. « Les négociations ont été dures mais nous avons obtenu l’accord, nous pouvions lancer notre application ».
A quatre dans une chambre
Les quatre amis se sont voués entièrement à la création de leur start-up. « Nous vivions à quatre dans une chambre, on dormait à deux dans un lit », se souvient David. Pendant une année entière ces conditions de vie étaient parfois pénibles à supporter, ne cache pas David. Mais assez rapidement le sort de l’équipe a connu un tournant : « Dès que l’application a été lancée, elle a pris à une vitesse incroyable. Nous donnions des interviews, des articles étaient publiés en Israël mais aussi dans le monde. C’est devenu fou, cela nous a fait oublier toutes les difficultés du départ. On a pu prendre un appartement plus grand, dans lequel chacun avait sa chambre » !
Très vite, l’application Netbus compte plus de 700.000 utilisateurs en Israël et la start-up traverse les frontières : États-Unis, France, Brésil, pour ne citer que quelques-uns des marchés internationaux. Netbus s’est développée aux trains, aux métros et ce sont plus d’un million de personnes qui avaient téléchargé l’application.
La chute
David et ses amis partent alors pour les États-Unis afin de poursuivre leur success story : « Nous étions proches d’Apple, de la Silicon Valley. On avait mis au point des pilotes d’applications qui partaient de Netbus pour aller encore plus loin dans le domaine des transports ». Tout leur sourit… Apparemment… David, avec le recul, nous explique ce qui a signé l’arrêt de mort de Netbus : « Nous avons progressé rapidement et les liquidités n’ont pas suivi. Lorsque nous avons pris conscience que nous aurions besoin de fonds plus importants et que nous avons commencé à solliciter des investisseurs, il était trop tard ». Sur ces difficultés se sont greffés des conflits à l’intérieur de l’équipe, la proximité dans laquelle les quatre amis vivaient depuis le départ aura finalement montré ses limites. « Je pense que notre principale erreur a été notre manque de maturité et donc le fait que nous n’avons pas sollicité, ni écouté les personnes qui avaient de l’expérience dans le domaine ».
Un nouveau départ
En rentrant des États-Unis, David était un peu perdu : « Je me relève d’une expérience qui ne s’est pas finie comme je l’aurais souhaité. Qu’allais-je faire maintenant » ? Il ne se laisse pas abattre et décide de considérer sa start-up comme une chance, une expérience enrichissante et non un échec. « J’ai mis à profit mon expérience dans le domaine du commerce et j’ai créé une société qui est une sorte d’académie pour les entrepreneurs ».
Cette société d’assistance en ligne, « A To Biz », fournit déjà ses services à plus de 400 entrepreneurs. David ne s’arrête pas là puisqu’il est aussi mentor dans Google et suit des études de droit. Comme quoi la start-up mène à des horizons parfois insoupçonnés, si on accepte de s’enrichir de chaque expérience.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay