Passionné par la chimie colorante et la décoloration des encres, Adolfo Kaminsky était l’expert en faux papiers de la Résistance. Celui auquel le mahJ avait consacré une grande exposition en 2019 s’est éteint le 9 janvier dernier, à l’âge de 97 ans. Sa fille, auteure du livre Une vie de faussaire*, révèle qu’un film est en préparation.
Vous avez découvert sur le tard les activités secrètes de votre père, Adolfo Kaminsky. Pour quelles raisons a-t-il souhaité garder le silence et comment avez-vous réussi à le faire parler ?
Sarah Kaminsky : Mon père a gardé le silence, car après la Seconde Guerre mondiale, il a continué à faire de faux papiers. D’abord pour l’immigration clandestine des rescapés des camps vers la Palestine, à l’époque sous mandat britannique.
Ensuite, il a aidé les mouvements de décolonisation d’Afrique, d’Algérie, de Guinée, de Guinée-Bissau et d’Angola. Il fournissait également des faux papiers pour ceux qui luttaient contre les dictatures d’Europe, en
Espagne, au Portugal et en Grèce, mais aussi en Amérique du Sud, au Chili, en Argentine et au Brésil. Mon
père fournissait enfin des faux papiers aux camarades de Nelson Mandela qui luttaient contre l’apartheid et aux
déserteurs américains qui refusaient d’aller combattre au Vietnam. Toutes ces activités étaient clandestines et
illégales et il les a poursuivies pendant trente ans. S’il parlait, il se mettait en danger. Les premières questions
qu’il m’a posées quand il a accepté de répondre à mes questions pour que j’écrive le livre, étaient : « Tu es sûre ?
N’y a-t-il pas prescription ? ». Je l’ai convaincu de répondre quand je lui ai dit que les générations futures auraient besoin de savoir. Il est l’un des derniers témoins. Je lui ai demandé de le faire pour nous et pour que l’histoire ne soit pas oubliée.
Pour tenir la cadence de la Résistance, votre père avait calculé qu’il lui fallait une heure pour fabriquer 30 faux papiers. Il travaillait jusqu’à l’évanouissement. D’où lui venait ce sens de la responsabilité d’autrui ?
S.K. : Il lui venait, je crois, d’un traumatisme. Sa mère a été jetée d’un train par les nazis alors qu’il était adolescent. Puis, lui et le reste de sa famille ont été raflés et internés au camp de Drancy. Ils y ont souffert de la
faim et du froid, mais surtout, de voir le camp se remplir, puis se vider d’un coup dès qu’il y avait 1 000 personnes. En trois mois resté à Drancy, il a vu des milliers et des milliers de personnes qui partaient vers les camps de la mort. Assister à ce spectacle, impuissant, et puis en réchapper, lui a laissé un sentiment de culpabilité à jamais gravé sur l’âme. Il ne pouvait pas avoir survécu pour rien. Chaque fois qu’il a pu sauver une vie par la suite, il l’a fait.
Lui qui avait été élevé dans le respect de la légalité, comment justifiait-il d’être devenu « faussaire » et comment vous avait-il expliqué le bien-fondé, si ce n’est la moralité, de cette activité ?
S.K. : Mon père a toujours eu foi en l’homme. Il a toujours cru à la justice. Pour lui, les lois de Vichy -les lois des nazis – ne pouvaient être respectées car elles bafouaient ses convictions humanistes. Il savait qu’il risquait d’être arrêté, qu’il était dans l’illégalité, mais il était dans la justice. Il disait souvent : « J’ai fait ce que j’avais à faire. Voilà tout ». Les lois devenaient folles et meurtrières, lui gardait sa ligne morale. Il n’a jamais voulu être rémunéré pour ses activités.
Cette gratuité était-elle le prix de sa liberté ?
S.K. : Il a toujours considéré que l’argent attirait les mauvaises personnes et que l’argent le mettrait en danger. Il souhaitait aussi garder une complète indépendance visà-vis des réseaux et se réserver le droit de dire oui ou non en fonction des demandes. Or, s’il dépendait financièrement de qui que ce soit, c’était foutu. Le jour, il travaillait
comme photographe de commande et gagnait, d’ailleurs, très mal sa vie. Ses photos artistiques, il ne les montrait pas. Il fuyait la lumière, de peur de se mettre en danger.
Son histoire romanesque sera-t-elle, un jour, portée à l’écran ?
S.K. : Oui. Nous travaillons d’ores et déjà sur un projet d’adaptation à l’écran du livre avec la société Vendôme Film qui a acquis les droits. Pour le moment, je ne peux pas en dire plus.
Propos recueillis par Yaël Scemama pour Actualité Juive numéro 1679
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