La guerre laisse des blessures visibles mais aussi parfois invisibles. Ce sont les traumatismes, ceux qui parfois prennent des proportions importantes, condamnant les gens qui en souffrent à sursauter au moindre bruit, à faire des cauchemars chaque nuit ou encore à être dépressif. Sans en arriver à ce stade, nombreux sont les anciens soldats qui éprouvent le besoin de raconter ce qu’ils ont vécu, afin d’évacuer des souvenirs parfois durs à porter. Il ne s’agit pas du tout de culpabilité, mais de sentiments de peur refoulés, d’images gravées, de pertes d’amis chers et de la prise de conscience de la fragilité de la vie.
Quand la guerre ne nous quitte pas
Bien que, D merci, la majorité de nos soldats ne sont pas blessés au combat et ne sont pas définis comme des traumatisés, il n’en demeure pas moins, que pour beaucoup, la guerre ne les quitte pas.
C’est le cas de Yaron Adel, ancien officier de la deuxième guerre du Liban. ”Pendant longtemps, je n’ai rien raconté. Je ne voulais pas. Ce sont mes relations avec mon entourage qui ont payé le prix. Je manquais de patience, je piquais des colères”. En 2013, il reçoit une photo de la 2e guerre du Liban, il la partage sur FaceBook et commence à raconter. Il encourage alors tous ceux autour de lui à faire de même et comprend le besoin de partager. Il crée un site internet à cet effet puis l’association Ressissim (éclats).
Quelques mois après sa création, un événement est organisé à Jérusalem. L’association veut créer une branche dans la capitale. C’était juste après Tsouk Eytan. Parmi les nouveaux militants, à Jérusalem, se trouve Itay Exelrod, avec qui nous nous entretenons, et qui va devenir très prochainement le nouveau directeur de l’association.
”On peut très bien ne pas être défini, médicalement parlant, comme un traumatisé de la guerre, et pourtant vivre difficilement l’après. La guerre ne nous quitte jamais”, nous confie-t-il.
Lui se souvient de Tsouk Eytan, alors qu’il était réserviste dans l’unité Nahal. ”Je faisais partie de l’unité de Roy Peless, qui a perdu la vie au combat. Je me souviens, la première fois que je l’ai vu, j’ai été frappé par son sourire. J’ai été très touché quand nous avons appris sa mort. Il est enterré à quelques mètres de mon oncle, tombé pendant la guerre de Kippour. Chaque Yom Hazikarone, je vais sur les deux tombes”.
Pour Itay, le sentiment qui l’a animé pendant un mois, cet été de 2014, c’était la peur : ”Nous étions postés à la sortie des tunnels, creusés depuis Gaza. C’est là que j’ai vraiment compris ce qu’était avoir peur, un sentiment qui vous parcourt des pieds à la tête”.
Quand il rentre chez lui, après la guerre, il va bien. ”Le fait de revenir et en bonne santé interdit, en quelque sorte, de se plaindre de quoi que ce soit. Alors même si je ressentais un besoin d’exprimer certaines choses, j’en avais honte”.
Enclencher un changement social
”Ressissim est la mission de ma vie”, nous explique Itay, ”c’est même ce qui m’a sauvé la vie”. Les acteurs de cette association veulent réaliser un changement dans la société israélienne. ”Nous ne sommes pas une association thérapeutique, nous voulons juste réfléchir à la façon dont notre société perçoit les expériences de guerre”.
S’agit-il d’une critique de l’armée ? ”Absolument pas. Nous ne critiquons ni l’Etat, ni l’armée. Au contraire. Nous proposons aux anciens soldats et aux soldats réservistes, un espace de paroles, de dialogues, d’échanges. Et nous allons encore plus loin. Nos rencontres sont aussi destinées aux proches des soldats : parents, frères, sœurs. Qui demande à un père ou à une mère comment ils vont lorsque leurs enfants sont au combat ? On prend des nouvelles du combattant, on est heureux de le voir revenir en bonne santé. Mais qui se préoccupe des séquelles que cela laisse sur une mère qui ne dort pas pendant des semaines ou un père, qui, fort de sa propre expérience, s’inquiète pour son enfant ?”.
Il convient de reconnaitre que ces dernières années, le sujet est pris beaucoup plus au sérieux.
Comment les ”anciens”, ceux des guerres des Six Jours, de Kippour, de la première guerre du Liban, prennent-ils votre initiative ? “Il est vrai qu’à leur époque, la parole n’était absolument pas libérée. La notion de traumatisme n’existait pas officiellement. Nous aurions pu penser que cette génération serait réfractaire à notre projet. Mais finalement, nous les atteignons aussi. Ils ont aussi besoin de raconter leur histoire. Récemment, j’ai donné une conférence dans une maison de retraite, une dame est venue me voir pour me raconter l’histoire de son fils. C’était salutaire pour elle. Dans ma propre famille, je le vois. Mon père a perdu un frère à l’armée, il avait 13 ans quand c’est arrivé. L’année dernière, lors d’une cérémonie organisée par Ressissim, il a raconté cette histoire et j’y ai découvert des éléments que mon père ne m’avait jusqu’alors jamais dévoilés”.
Renforcer l’armée et notre société
Finalement, il est de notoriété publique qu’une guerre est dure, que l’on ne va pas à l’armée pour s’amuser et c’est même une partie de la force de dissuasion d’une armée que d’être composée de combattants sans peur et sans failles. Les activités de votre association ne risquent-elles pas de fragiliser l’armée et ses soldats ou futurs soldats ? Les responsables de Ressissim rejettent cette idée. Pour eux, leur action ne fait que renforcer l’armée et la société. C’est en tout cas, leur objectif. ”Lorsque l’on s’occupe de ce sujet, on se rend compte que l’on renforce les gens. Les écouter, les laisser parler les rendent plus forts, plus prêts à avancer. La dureté de la guerre est de notoriété publique et pourtant, en taisant les sentiments de peur, les craintes, on essaie de se cacher derrière son petit doigt et de faire comme si l’armée ou la guerre n’étaient qu’une expérience comme une autre”.
Ressissim regroupe essentiellement des soldats qui sont réservistes. Ils ont dans la trentaine, mais on y trouve aussi des gens plus jeunes et plus âgés. ”Nous organisons beaucoup de rencontres, surtout à Jérusalem et à Tel Aviv. Le moment fort de l’année pour nous est Yom Hazikarone, où nous nous retrouvons autour d’une grande cérémonie. Nous participons aussi à des panels avec des questions ouvertes. Le but est réellement de transmettre le message que le besoin de raconter son expérience des combats est légitime et qu’elle est bénéfique. Nous disons que les traumatismes extrêmes doivent évidemment être traités de la manière la plus sérieuse qui soit, mais que sans en arriver à cet état, on a le droit d’être considéré, écouté et de partager. Nous ressentons un soutien fort de la société israélienne dans ce projet. Désormais, nous espérons élargir le cercle des gens que nous atteignons, notamment les hayalim bodedim, ceux qui font leur alya, qui servent notre pays et qui se retrouvent encore plus seuls et démunis. Nous tenons à leur faire connaitre notre existence et nous devons leur tendre la main”.
Pour aller plus loin :
Sur FaceBook : רסיסים
Guitel Ben-Ishay