Quand éclate la guerre du Liban en juillet 2006, le media francophone Guysen en est aux premiers pas de sa télévision. C’est à cette période que Guysen TV va réellement prendre son envol, seul media francophone à cette époque qui fournit une information en direct. Son directeur Guy Senbel se rend sur la frontière nord, accompagné par une équipe de journalistes, qui quadrille tout le terrain de Metula à Rosh Hanikra. Michel Azoulay en faisait partie. Il nous raconte son expérience de reporter de guerre.
Le P’tit Hebdo : Quand êtes-vous arrivés à la frontière nord ?
Michel Azoulay : Nous étions sur place depuis l’enlèvement des trois soldats. On faisait quelques directs pour la TV naissante de Guysen. C’était une nouvelle façon de faire de l’info dans le monde des médias juifs francophones. Nos équipes étaient localisées à Gonen. Le 13 juillet, nous subissons les premiers bombardements.
Lph : Comprenez-vous alors qu’une guerre qui va durer un mois est en train de débuter ?
M.A. : On sentait la tension déjà depuis l’enlèvement des soldats. On comprend que les événements sont intenses puisque nous sommes sans arrêt sous les bombes. Il n’y a pas de répit. Le rythme de travail est extrêmement soutenu. En tant que reporter nous ne nous mettons pas à l’abri systématiquement : nous voulons fournir des images, rendre compte de la réalité. On ressent de la peur mais on s’y habitue. Progressivement la peur laisse la place à de l’adrénaline et à certainement beaucoup d’inconscience…
Lph : L’inconscience : la qualité première du reporter de guerre ?
M.A. : Oui, certainement. Aujourd’hui, je ne sais pas si je le referai ! Nous n’avions pas de gros moyens, donc aucun de nos journalistes sur le terrain n’avaient de gilet pare-balles ou de casque!Nous faisions des faces cameras à seulement 20 métrés de la frontière. Nous sommes même entrés au Liban avant d’être arrêtés par l’armée qui nous a gentiment ramenés en Israël…
Lph : Quelle mission vous étiez-vous donnée ?
M.A. : A part Guysen, personne ne donnait aux francophones d’informations sur ce qui se passait, si l’on met de côté la télévision française, qui a ses travers, on le sait. Nous voulions donner aux francophones la possibilité d’être informés par des reportages de terrain auprès de l’armée, dans les hôpitaux, dans les abris. Nous voulions retransmettre avec authenticité les sentiments sur place.
Lph : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué sur place ?
M.A. : Les gens étaient extraordinaires ! Il régnait une solidarité impressionnante : des jeunes qui restaient avec des personnes âgées ou handicapées qui ne pouvaient pas se déplacer dans les abris, des volontaires qui allaient de maison en maison pour vérifier que tout le monde allait bien.
En tant que journalistes et de surcroît francophones, nous avons été reçus à bras ouverts ! La population soutenait l’armée et le gouvernement.
L’image qui me reste c’est aussi Kiryat Shmona qui s’était transformée en ville fantôme… Seul un vendeur de shawarma avait tenu à rester ouvert pour les militaires et les journalistes.
Lph : Dix ans après, quels sont les sentiments que vous éprouvez en repensant à cette période ?
M.A. : La fierté d’avoir donné l’info en direct avec mes amis de Guysen : Guy Senbel, Arié Lévy, Matthias Inbar et Caroll Azoulay, pour ne citer qu’eux. Nous avons mis de l’âme dans nos reportages, nous avons fait un journalisme de cœur, c’est cela que j’attends aujourd’hui des reporters de guerre, et qu’il manque peut-être à notre paysage médiatique.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay