Dans le récit Biblique ne discernons-nous pas aussi l’histoire de femmes dévoilées par un auteur qui superpose le récit humain, empli d’initiative privée et d’audace, à l’agenda purement national et monothéiste?
Le succès du rédacteur peut être apprécié ici au vu et au su de la stature offerte à Rah’av dans les Midrashim rabbiniques.
Rah’av est une héroïne biblique du Livre de Josué. Tenancière à Jéricho. Elle héberge les deux espions envoyés par Josué, leur offre l’asile, et reçoit en retour la vie sauve lors de l’attaque au cours de laquelle s’est produit le célèbre effondrement des murailles de la ville, aux sons des trompettes des Hébreux.
Chez nos Sages, une femme, qui sur la seule base du complot pourrait être dépeinte de manière plus convaincante comme une opportuniste pragmatique, est souvent élevée au statut d’héroïne et sanctifiée comme un saint d’Israël.
Sa vision prophétique du triomphe des Hébreux lui permet de devenir (par la grâce de la tradition rabbinique) l’une des quatre plus grandes beautés du monde, une prosélyte, puis la femme de Josué et finalement l’ancêtre de huit prophètes et prêtres, y compris Jérémie et Hulda .
Dans la même tradition rabbinique, on peut lire tout et son contraire concernant cette dame : le dégoût, voire la peur. Talentueuse et intelligente comme elle était, elle ne pouvait être une simple péripatéticienne mais très certainement une intrigante corrompue.
Tout commence tellement tôt pour elle.
Dès l’âge de dix ans, elle est jetée en proie dans les lupanars de Jéricho, pour être «possédée» par les maitres, une femme dont le nom seul suscite la convoitise (TB Megillah 15a et Ta’anit 5b).
Rah’av est une « border-line », à la fois prostituée et rebelle contre son peuple et sa cité.
Il me semble plus approprié de la signifier dans un autre ordre biblique, par exemple : celui de Shifrah, Puah et Esther, des femmes qui, par la maestria, l’audace et le sang-froid, deviendront les figures de la résistance et de l’indépendance politique.
Ces références féminines témoignent, tout simplement, d’une réalité trop souvent censurée où ces dames jouent, aujourd’hui encore, un rôle essentiel et primordial dans la conjoncture politique et religieuse.
Désarmée, Rah’av se montre pourtant bien plus émérite en abnégation et bravoure que ces soldats aguerris, face à elle, dont elle épargne et sécurise la vie. Ce sont des guerriers éprouvés, des éclaireurs du désert, des espions ingénieux, néanmoins elle, la femme citadine, dont la vie se vécut à l’horizontale, se fait un devoir de leur expliquer comment se tenir droit pour mieux s’échapper.
Le récit est picaresque. Elle déjoue et utilise, à son propre avantage, les hommes, quels qu’ils soient, venus pour l’utiliser et profiter, pour certains, d’une information, pour tous les autres, de la bagatelle. Elle veut être maitresse du jeu, gérer la situation et définir, ainsi, aux espions de Josué, les termes de l’engagement mutuel. Elle forge pratiquement une alliance avec eux, prédit le futur à moyen terme et s’exprime tout à la fois comme un Sage et un Prophète.
Percevoir cette histoire sous son jour purement féminin souligne l’idée de l’amour que Rah’av formule explicitement et qui parcourt d’un bout à l’autre le texte.
La conduite et le comportement de cette femme ne sont guère anodins. Elle se rappelle aux bons souvenirs des deux espions pour quand ils sortiront de la clandestinité. Elle les traite avec beaucoup d’amour, d’attention et d’intérêt. Elle décide de servir Israël au péril de sa vie. C’est dans une certaine mesure la même histoire d’amour que nous connaitrons avec Ruth, la moabite. Les qualités foncières de Rah’av mettent celle-ci, sans aucune hésitation, en compagnie de l’arrière-grand-mère de David. Notre héroïne choisit, contre vents et marées, de renier sa propre patrie, son peuple, sa foi mais jamais sa famille.
Pour Rahav, la solidarité familiale est aussi un acte d’amour, tant d’amour qui lui a très certainement manqué car violé tout au long de son existence.
Face à ces ambassadeurs d’une autre nation en plein devenir, elle parle au nom de la loyauté personnelle et familiale.
Jamais dans l’Histoire de tels dehors iniques et vilipendés n’avaient caché une telle personnalité emplie de valeurs et de ‘grandes vertus’.
Ce qui me manque ici, dans l’ensemble de cette littérature, c’est la plume, la voix de ces femmes pour me raconter leur histoire à travers leurs ressentis.
J’aurais tant aimé vous entendre, vous, Rah’av, Ruth, Esther et les autres !
Vous me laissez un vide difficile à combler!
Qu’elles sont les raisons de tes motivations, Rah’av?
Pourquoi prendre de tels risques, s’aventurer vers un avenir incertain, aux seuls dépens d’un peuple inconnu?
Je reste, pour ainsi dire, sourd lorsque j’essaie d’entendre, d’aussi loin que je suis, ta voix qui seule peut faire sens et nous offrir une plus grande clarté conjoncturelle au sein de ce registre historique souvent épuré.
Heureusement, l’exégèse tente et me permet de me rapprocher de toi, de ta voix, d’une plus grande honnêteté de l’Histoire. Elle éveille en mon être profond des sensibilités qui répondent mieux à mes questions que ne peuvent le faire certains anciens commentaires.
L’histoire converge vers le mieux et le meilleur, un instant d’amour mutuel entre trois personnes pour une noble cause : la délivrance d’une terre de sa tutelle pernicieuse.
Certes, elle deviendra pour Jéricho, la traîtresse et la sale espionne mais, pour Israël, elle demeure à jamais une remarquable héroïne: une femme méprisée, en marge de la société bien-pensante, sauve deux hommes d’une mort certaine, et pense à libérer, bien avant elle-même, sa famille, à cause du pouvoir malfaisant qui gouverne sa cité. Elle en fut depuis toujours la première victime au quotidien, laminée sous lui.
Maintenant, nulle culpabilité, elle se sent prête à affronter tous les dangers au nom de son idéal.
Traître et prostituée?
Je te rassure, Rahav, tu es pour nous une Justes parmi les Nations.
Le plus vieux métier du monde rencontre ce qu’il y a de plus rare au monde: sauver l’autre, l’étranger, l’inconnu!
Ce n’est pas par hasard si la Bible précise et réitère sa profession. Il s’agit d’un récit peu banal et peu s’en faut dans nos sociétés flottantes en eaux troubles. Elle transmet un message extra-ordinaire: chaque personne et, surtout, celles que nous avons fustigées et jetées aux abîmes, ont une étincelle d’amour, de vie et de devenir.
Lisez donc, humains d’un quotidien! Levez-vous prolétaires de la pensée et voyez ce qu’une putain fut capable de générer!
Engageons-nous contre le verbe primaire, les croyances de charbonnière et autre grenouille adulant le bénitier. Gageons de ne plus nous laisser entrainer par les fadaises et les stéréotypes d’une tradition trop conformiste.
Rassurez-vous, ils continueront, malheureusement, à faire entendre leurs voix dévoyées et affirmer que Rahav n’est autre qu’une prostituée.
Sommes-nous vraiment si ingrats?!
Rony Akrich
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