« Ce n’est pas un juif espagnol, espèce rarissime,
mais un descendant de ceux qui ont habité là-bas
jusqu’à l’expulsion, la dispersion. »
(Retour à Sefarad, Pierre Assouline)
Propos recueillis par Béatrice Nakache
Le 30 novembre 2015, le roi Felipe VI d’Espagne, dans une cérémonie en hommage aux Juifs expulsés d’Espagne en 1492, prononce des mots très forts adressées aux séfarades du monde entier pour leur dire : « Comme vous nous avez manqué… ».
Une loi a été votée, qui accorde la citoyenneté espagnole aux descendants de centaines de milliers de Juifs victimes de l’Inquisition Espagnole.
« Mosaïques » a rencontré, à Jérusalem, Pierre Assouline, grand écrivain français et journaliste. Il a répondu à l’appel et raconte l’aventure dans son livre « Retour à Sefarad » (Folio, 2020)
Pierre Assouline, quel sentiment a éveillé en vous l’annonce du roi Felipe VI d’Espagne en 2015 ?
Tout d’abord une grande émotion, car ce n’est pas tous les jours que dans le journal, sur Internet ou à la radio on apprend, de la bouche d’un roi en exercice, qu’il subsiste un tel rapport au passé, tout de même quatre ou cinq siècles en arrière, et ce sans que ce soit pour autant une action de pardon, ni de repentir. Cela m’a touché au cœur.
Extrait de « Retour à Sefarad », échange de textos avec un ami :
« Je quitte la France.
– Et tu vas où ?
– Je rentre chez moi, au pays…
– Au Maroc…
– Mais non, chez moi, en Espagne. Je rentre !
– J’ignorais. Mais quand l’as-tu quitté ?
– En 1492, mais à l’insu de mon plein gré. »
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Quelles sont les démarches à faire ? Est-ce difficile ?
En fait, l’essentiel des démarches administratives se passe à Paris, par Internet, et par le consulat. Ils exigent une liste faramineuse de documents…
« Après avoir entendu la liste des conditions, quelqu’un s’est levé dans la salle et a dit : “Quand on nous a expulsés, il n’y a pas eu 3 semaines d’enquêtes pour vérifier qu’on était bien juifs !“(…) Toute l’ambivalence de l’Espagne concentrée dans cette procédure. »
(Retour à Séfarad, P. Assouline)
Si je me suis rendu plusieurs fois depuis en Espagne, c’était pour aller à la rencontre des Espagnols et leur dire « Je reviens ».
Et je l’ai réalisé à ma façon car étant souvent en voyage à l’étranger pour parler de mes livres, j’ai fait savoir que j’accepterai toutes les demandes même des villages les plus reculés d’Espagne. Et donc je suis allé partout.
À qui avez-vous rendu visite en Espagne ?
D’une part à la communauté juive, à travers le Centro Sefarad de Madrid, mais aussi à des espagnols non-juifs rencontrés par l’Institut français et l’Alliance française.
Au Centro Sefarad Israël, ils font connaître la culture séfarade en organisant des colloques, des soirées, des conférences pour des visiteurs séfarades de passage à Madrid, des Israéliens, des chercheurs, des intellectuels.
Ce que l’on peut dire des Juifs d’Espagne, c’est qu’ils ne sont pas nombreux. Il y en a à peine 20 000. Mais ce ne sont généralement pas des Espagnols « pur-sang » de longue date.
Ils le sont peut-être de la troisième, voire quatrième génération.
« Dans les années 1960, les Juifs étaient si peu nombreux à Madrid qu’un appartement de la rue Cardenal-Cisneros leur servait de synagogue le vendredi soir… Ils n’étaient pas rancuniers car au XVe siècle, Francisco Jimenez de Cisneros avait exercé comme Grand Inquisiteur d’Espagne… » (Retour à Séfarad, P. Assouline)
Il ne faut pas oublier que c’est un pays qui a été judenrein pendant plus de 4 siècles. Il n’y avait pas de Juifs. Au début du XXe siècle certains se sont installés à Barcelone. Et pendant la guerre certains qui étaient en transit, qu’on a laissés passer, sont restés, notamment en Catalogne, et autour de Madrid.
Pendant la guerre, Franco a refusé les Juifs. Dès le début de la guerre, les consuls d’Espagne dans toute l’Europe ont alerté en disant « Les Juifs sont traqués, il se prépare une horreur, ils sont déportés, arrêtés, exécutés, et parmi eux il y a des Espagnols puisque ce sont des séfarades ». Parfois certains avaient même un passeport espagnol. Ces consuls ont demandé le droit d’émettre des passeports. Le ministre des affaires étrangères, gendre de Franco, était un antisémite forcené qui a dit « non, pas question ». Et Franco a approuvé. Entre-temps, qu’ont fait les consuls, eh bien ils ont désobéi clandestinement et ont émis des passeports, parfois même à des ashkénazes qui réussissaient à se faufiler. Cela a sauvé des milliers de Juifs. Mais Franco n’était pas au courant.
Puis à partir du milieu de la guerre, vers 1942, les choses vont évoluer, et Franco étant un pragmatique, il a accepté les nouvelles demandes, mais à condition qu’ils ne restent pas, et soient juste en transit.
En parcourant l’Espagne vous racontez dans le livre que vous avez assisté à des fêtes traditionnelles, des processions, des cérémonies populaires et ancestrales qui font référence à l’Inquisition.
Oui parfois ce sont des fêtes à connotation tout à fait antijuive mais ils ne s’en rendent pas compte du tout. Et pourtant, ils brûlent un mannequin au milieu vêtu de la tunique des Juifs de l’époque. Ils répondent que cela fait des siècles qu’ils font cela, qu’il n’y a pas de mal.
À Majorque il y a 12 familles de chrétiens pratiquants, et que l’on considère comme des « faux », d’anciens Juifs. En 1950, il y avait encore des San Benito, chasubles que portaient les Juifs pour les distinguer de la population, accrochés à la cathédrale avec leur nom, et des noms comme Valls Miro, etc.
Dans votre livre, vous évoquez un village du nord de l’Espagne qui s’est appelé Castrillo Matajudíos, qui signifie « Castrillo- Tue-les-juifs ». Que s’est-il passé ?
Eh bien le maire trouvant ce nom intolérable l’a fait remplacer, suite à un vote des habitants, par Mota de Judíos (Colline des juifs).
Les habitants ne comprenaient pas que ce petit village de 60 âmes se soit toujours appelé comme ça. Du coup ce village est devenu très célèbre. Un argent fou s’est déversé pour y installer un centre d’études juives, et ils ont même été jumelés avec une ville israélienne, Kfar Vradim.
Et donc ce maire, nommé Lorenzo Rodriguez, d’un dynamisme incroyable, est invité depuis dans le monde entier pour participer à des colloques et des conférences sur les séfarades. Alors qu’en fait il est catholique. C’est le maire de village le plus connu d’Espagne.
De façon générale les Juifs d’Espagne sont-ils religieux ?
C’est en train d’évoluer. Il n’y a que quelques synagogues, essentiellement la grande synagogue à Madrid, une autre à Barcelone, et d’autres qui ne sont pas en activité.
« S’il y a une synagogue en Espagne, pas un musée de bric et de broc, un monument aux morts, un attrape-touristes, non, une synagogue en activité (…) C’est à Madrid qu’elle se trouve. » (Retour à Séfarad, P. Assouline)
La population juive augmente sensiblement car il y a une forte immigration sud-américaine, depuis une dizaine d’années, et parmi eux se trouvent des Juifs, notamment des Juifs argentins. Et ces Juifs d’origine argentine ont créé leur propre synagogue, qui est assez originale, car on y joue de la guitare le shabbat. Elle est ultra-libérale.
Peut-on dire « heureux comme un Juif en Espagne » ?
Je ne crois pas qu’aujourd’hui il y ait un pays où une communauté juive soit persécutée. Il y a à peu près 20 ou 30 ans qu’il n’a pas eu une communauté juive persécuté dans le monde alors qu’avant elle l’était partout. Des problèmes oui, c’est inévitable.
N’y a-t-il pas de préjugés antisémites ancrés dans la population espagnole ?
Certainement, mais en France aussi, partout…
Particulièrement en Espagne, car c’était la première communauté juive du Moyen-Âge. Il y a eu beaucoup de mariages entre familles juives extrêmement riches et aristocrates espagnols.
On trouve de vieux réflexes antijuifs dans le langage. Mais il y a un observatoire de l’antisémitisme, comme en France. La différence c’est qu’en France, ils observent des tentatives de meurtre ou des meurtres, là-bas c’est une fois tous les 15 jours, un graffiti, dans des toilettes d’université. Ça ne va pas plus loin.
N’avez-vous jamais pensé à vivre en Israël ?
Pourquoi pas ? J’y séjourne très souvent ! C’est très simple, je peux vivre dans beaucoup d’endroits. Maintenant mon bureau c’est mon ordinateur, j’écris des articles, des livres, je donne des conférences, je peux le faire n’importe où.
Ma patrie c’est ma langue et je l’emporte avec moi.
Finalement, les avez-vous obtenus, ces papiers ?
Non pas encore. Ça fait quatre ans déjà. C’est beaucoup. Maintenant ils sont en train de vérifier que je suis bien né à Casablanca, cela prend six mois… Normalement cela prend trois ans en tout, mais moi je suis le candidat le plus connu parce que j’ai fait un livre sur ce sujet. Et j’’ai remarqué que plus je donne d’interview aux radios et télévisions espagnoles, plus ils rallongent la sauce !
« À ce jour, plus de quatre mille séfarades sont redevenus espagnols. Principalement des Vénézuéliens fuyant le chaos, des Israéliens en quête d’un passeport européen et puis des Argentins, des Français, des Marocains… »
Mais pas encore Pierre Assouline ! Patience… On lui souhaite béhatslaha !
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Qui est Moshe Sakal ? Si vous le savez, P. Assouline doit vous donner la nausée. Ne jamais oublier !
Je suis profondement inquiet, decu, et revoltant…que des Israeliens cherche desesperament a acquerir un passeport Espagnol ! Decidement, nous les Juifs,,nous n’avons rien, , mais rien du tout appris de notre histoire…!
C’est de la decheance morale complete de voir ces milliers d’Israeliens se prevaloir de cette nouvelle identite, comme si leur propre identite fut , un instant, artificilierement acquise en Israel..
Yossef Doron.