Quelques mots du penseur, éducateur, professeur, passeur et rabbin André Neher, si cher à mon cœur. André Neher, penseur existentiel juif, aux côtés de son épouse, Rina Neher, a, dans sa vie comme dans ses livres, œuvré sans relâche à la reconstruction : reconstruction d’un judaïsme français décimé après la Shoah ; reconstruction d’une jeunesse privée de guides spirituels et de repères matériels ; reconstruction, en France puis en Israël, des deux souches du peuple, Séfaradim et Ashkénazim, qui n’en font qu’une lorsque le prophète les unit ; reconstruction d’un foyer juif en Terre sainte, en arpentant les rues de Jérusalem et en aidant à l’accueil des Juifs d’Éthiopie ; reconstruction de l’âme et de l’identité juive par ses nombreux ouvrages, jalons pour la pensée juive ; reconstruction de l’Histoire juive, dont Israël et la Shoah sont comme le midi et le minuit ; reconstruction du dialogue entre les peuples, par l’instauration de rencontres interreligieuses ; reconstruction de la lecture biblique, à travers la réintroduction de l’usage du Midrash, les études maharaliennes et la création de la première chaire d’Hébreu à l’Université de Strasbourg ; reconstruction du sens premier de toute parole, en creusant les silences bibliques… Et tout cela, sans jamais se départir de son immense sourire, de sa tendresse, de sa douceur, de son amour du peuple jusque dans ses plus petits gestes – à commencer par le salut au balayeur de Jérusalem, avec qui il conversait chaque matin, en sortant de chez lui, rehov Usshiskin, avant d’aller enseigner au Cercle d’étude biblique chez le Premier ministre Menahem Begin… C’est là que la pensée juive est authentique : lorsqu’elle se fait parole, et la parole, action.
« Le peuple juif, déchiré par les dispersions, doit retrouver son unité. Quand je dis : doit, je donne à ce mot un sens très fort. C’est l’urgence absolue. Après Auschwitz, et les leçons qu’il en avait tirées, Léon Meiss affirmait qu’il était “un mystique de l’unité”. Je suis également – et pour les mêmes raisons – un mystique de l’unité. C’est cette passion de ressouder l’unité du peuple juif qui anime tous mes combats. Je rejoins ici pleinement le Rav Kook et ce qui était, si l’on peut dire, son secret dans ses tentatives de jeter un pont entre Juifs religieux et Juifs athées, en Palestine, durant le premier quart de notre siècle : Ahavat Hinnam, l’amour gratuit. Aimer. Faire sentir qu’on aime. Et faire sentir que l’on est aimé. On parle souvent d’individus qui sont fous de Dieu. C’est le secret de l’effort vertical. Le secret de l’effort horizontal : être fou des hommes. Il y a la folie des grandeurs. Elle détruit la société. En contraste, pour édifier la société, il faut la folie des choses humbles, des gestes minimes, des sourires appels-réponses. Et de ces gens fous, il y en a, en Israël, par milliers. Ce sont eux qui détiennent les clés. Ils sont les aiguilleurs de la société. » (Extrait de Le Dur Bonheur d’être juif, p. 191-192, Éditions Le Centurion, 1978, p.191-192)
(* Devenu président du Consistoire central à la Libération, en 1944, Léon Meiss, magistrat de profession, a été l’un des artisans les plus efficaces de la reconstruction du judaïsme français dans l’immédiat après-guerre.)
Gaelle Hanna Serero est directrice des programmes du Campus Francophone du Collège Académique de Netanya et enseignante-chercheuse en Pensée juive moderne à l’Université Bar-Ilan et au Centre de pensée juive Beno Gross (Tel-Aviv). Elle est membre du Laboratoire de pensée juive française Matanel-Bar-Ilan et lauréate de la Bourse de recherche Mozes S. Schupf Excellence et Influence 2021-2022.