Le handicap est un sujet aussi varié et touchant que les personnes qui en souffrent. LPH s’est interrogé sur la façon dont les parents vivent le handicap de leur enfant. Comment assume-t-on la réalité d’avoir un enfant « pas comme les autres », qui ne pourra jamais vivre comme tous les enfants de son âge et qui sera un adulte souvent dépendant. Nous avons rencontré deux femmes, Rahel et Chantal. Rahel est handicapée moteur et Chantal a une fille, Chochana, lourdement handicapée. Elles nous racontent leur histoire. À travers elles se dessinent deux exemples opposés de la façon dont les parents peuvent faire face au handicap de leur enfant.
« Mes parents m’ont abandonnée et ne veulent aucun contact avec moi »
Rahel a 40 ans et vit à Jérusalem. Elle est née handicapée. Elle ne peut se déplacer qu’avec des béquilles ou dans une chaise roulante électrique. « À ma naissance, mes parents m’ont abandonnée. Ils ne pouvaient pas assumer d’avoir une fille handicapée. À vrai dire, j’ai compris par la suite que c’est surtout mon père, pourtant médecin, qui avait poussé pour que l’on me confie à un Institut. Ma mère était jeune et amoureuse, elle a cédé. Pendant quatre ans, j’ai été prise en charge par cet Institut. Une des bénévoles a trouvé un couple qui a accepté de me « parrainer » en quelque sorte. Ils me rendaient visite deux fois par semaine. Puis quand j’eus 4 ans, ils ont décidé de m’adopter. Ce sont des gens bons, ils étaient d’un niveau de vie modeste, mais ils se sont très bien occupés de moi. Pour moi, ce sont eux mes vrais parents ».
Rahel n’a aucun contact avec ses parents. Ils refusent totalement de la rencontrer. Elle était l’ainée de sa famille biologique. Elle a eu, sans le savoir, deux sœurs et un frère. « Mes parents leur ont caché qu’ils avaient une sœur handicapée. Ils ne le leur ont révélé que lorsqu’ils ont divorcé, il y a quelques années seulement ». Rahel a noué un contact avec ses sœurs ; son frère, quant à lui, ne veut pas entendre parler d’elle. « Il y a quelques années, lorsque j’avais 25 ans, j’ai rencontré ma mère biologique. Mais elle n’a pas voulu donner suite pour ne pas contrarier mon père. Aujourd’hui, je sais que nous pourrons nous voir plus facilement, parce qu’ils sont désormais séparés », raconte Rahel.
Elle a fait sa scolarité dans une école régulière, elle y a passé des années difficiles, rejetée par les autres enfants et souffrant de difficultés scolaires. Mais là aussi, elle a su s’en sortir, aidée notamment par sa mère adoptive, et elle exerce aujourd’hui un métier. Rahel est indépendante, elle vit seule dans un logement réservé aux handicapés par l’État. Elle conduit sa propre voiture et fait du vélo avec les mains. Rahel est aujourd’hui une femme qui se définit comme « optimiste ». Elle a confiance en l’avenir même si elle pense qu’elle ne se mariera jamais. « Je n’ai aucune colère envers mes parents biologiques. Je souhaite juste que les gens ne me regardent pas avec pitié. Je suis très active et j’aime la vie » !
« Chochana restera avec moi tant que D’ me prêtera vie » !
Il y a 25 ans, de graves complications sont venues troubler le troisième accouchement de Chantal. Déjà maman de deux garçons (5 ans et 2 ans et demi), elle mettait au monde sa fille, lorsque la tête du bébé a été bloquée par le cordon. Il a fallu l’opérer en urgence. Mais le médecin, dans un hôpital français, met 25 minutes à arriver. Les conséquences sont dramatiques pour le bébé : elle n’aurait même pas du survivre.
« Quand je me suis réveillée de la césarienne, on ne m’a pas vraiment expliqué ce qui se passait », se souvient Chantal, « on m’a dit qu’elle était en réanimation et qu’elle aurait probablement quelques séquelles ». Trois jours après, Chantal peut enfin se lever et aller voir son bébé : « un bébé de 4,1 kilos, amorphe. J’en ai perdu la parole pendant deux jours ». Aidée par un professeur très humain et qui lui prodigue de très bons conseils, Chantal se remet. Pendant un mois son bébé est dans le coma. À deux mois et demi, elle fait une grave crise d’épilepsie directement liée aux complications de sa naissance. Le verdict est sans appel : Chochana est lourdement handicapée, les traitements seront lourds et pour toujours. « Quand elle avait 4-5 mois j’ai appelé ma mère et je lui ai dit : « Viens la prendre ! Je ne peux pas » ! Ma mère m’a passée un savon, elle m’a dit : « chez nous les Juifs on accepte ce que D’ nous donne. Ne te plains plus » ! J’ai pris cela en pleine figure et tout a changé ».
Chantal est très entourée par des professionnels compétents et efficaces. Ils lui donnent le soutien et les conseils nécessaires pour qu’elle puisse s’occuper de Chochana. Celle-ci ne parle pas, ne marche pas, est totalement dépendante. Mais ses capacités intellectuelles sont très développées. « Nous avons beaucoup travaillé avec elle. Tous les jours pendant 8 heures avec des programmes très précis pour rattraper certaines fonctions cérébrales. Nous avons pu avec l’aide de nombreux spécialistes français et américains développer son intellect même sans la parole ».
Les résultats se sont fait sentir au fur et à mesure. Et un jour, Chantal va la chercher à la maternelle. On lui montre un dessin qu’elle a fait : « J’étais persuadée qu’on l’avait aidée. On m’a garanti que non ». Tout le monde s’étonne, le dessin de Chochana est très beau pour une petite fille de trois ans et dénote d’une symétrie cérébrale qu’elle ne possède pas du tout sur le plan moteur. Le dessin est analysé pendant trois mois par différents spécialistes. Chochana a un don pour la peinture ! Seule l’informatique lui permettra de le développer, compte-tenu de son handicap.
« Pour moi, c’est une ouverture venue du Ciel. Je suis heureuse de la voir heureuse et de la voir s’exprimer par la peinture. Quelque chose la fait vibrer sur terre, elle n’y effectue pas juste un passage, elle en profite et elle crée des contacts avec les gens ». Chochana est reconnue comme une artiste peintre, y compris par des professionnels qui au départ ne savaient pas qu’elle était handicapée. Évidemment aussi grâce à l’attention que sa famille lui porte, Chochana surprend le monde par sa volonté et ses capacités : « Les gens l’aiment. Elle a une finesse de compréhension supérieure à la normale. Elle est coquette, veut être coiffée, maquillée, comme toute jeune femme de 25 ans ».
Même si la prise en charge est très lourde, Chantal et sa famille ont toujours gardé Chochana à la maison : « Elle a un très bon contact avec ses frères. Mon seul regret, c’est de n’avoir pas eu d’autres enfants après elle. J’avais peur de ne pas être assez disponible pour elle. Mais en fait, une grande fratrie aide beaucoup ce genre d’enfant justement. Chochana nous apporte beaucoup, nous renvoie beaucoup d’amour, un amour tellement fort, tellement pur ». L’avenir, Chantal l’envisage non sans une certaine angoisse : « Chochana restera avec moi tant que D’ me prêtera vie. Qu’Il me donne la force et la santé ! Mais ce qui m’inquiète, c’est ce qui se passera après moi… Alors je ferme les yeux et je les lève vers le Ciel : je prie pour que jamais elle ne souffre de la main d’un être humain ».
Propos recueillis par Avraham Azoulay et Guitel Ben-Ishay