Les épreuves de la vie peuvent-elles nous enseigner le sens d’un verset ? Elles le peuvent et le doivent, c’est le sens littéral du mot Mikra qui signifie l’appel. Appel mystérieux adressé à chacun de nous, appel à l’éveil de notre vie qui trop souvent s’enlise dans la routine et se prend pour un acquis, allant de soi. Mais la vie ne nous est pas due, elle nous est offerte et chaque instant est un don gratuit pour lequel les mots de la prière “Modim ana’hnou lach” sortent de notre bouche sans que nous en mesurions la portée et l’actualité.
La vie vient de m’enseigner le sens exact et littéral-le Pechat- d’un verset de Tehilim 4 :
“Ba-tsar hir’havta li”: littéralement : dans l’étroit tu m’as élargi.
C’est un verset qui a servi de titre aux conférences que j’ai récemment consacrées à Etty Hillesum, jeune juive hollandaise assassinée à Auschwitz à l’âge de 29 ans. Son journal, publié sous le titre de “Une vie brisée” et en hébreu “ha chamaym che-betochi” retrace un véritable itinéraire spirituel qui mène d’une vie chaotique à une construction de soi culminant dans un dialogue quotidien avec le Créateur et un total dévouement à Ses créatures persécutées. Document unique rédigé alors que l’étau se resserre autour des Juifs de Hollande occupée, soumis chaque jour à de nouveaux décrets leur interdisant de voyager en tramway, de s’approvisionner librement, ou même de s’asseoir sur les bancs publics, avant de les entasser dans des wagons à bestiaux. C’est dans ces circonstances que le monde intérieur d’Etty Hillesum connut un élargissement prodigieux. L’espace intérieur- ha mer’hav ha- penimi-, c’est bien ce que nous appelons le cœur. C’est dans ce lieu enclos dans l’étroitesse de notre poitrine que se dissimulent nos expériences intimes, le noyau le plus secret de notre personne, la nekouda penimit dont parle le S’fat Emet. Ce lieu échappe au regard, aux limitations de l’espace et du temps. Il nous rattache à l’humanité, aux générations passées et futures. C’est là que passe l’éternité, comme le dit la bénédiction : Beni sois Tu… qui a implanté en nous une vie infinie: ‘hayé olam.
Selon les circonstances de notre vie et la façon dont nous y réagissons, cet espace est susceptible de se contracter ou de se dilater. La tristesse, la peur, la colère, la haine, le contractent, alors que la joie, l’espoir, l’amour, le dilatent.
Pour les juifs d’Amsterdam confinés dans le camp de Westerbork avant leur déportation à Auschwitz, l’espace extérieur et intérieur rétrécissait de jour en jour.
Dans le journal d’Etty Hillesum se mène un combat quotidien contre le désespoir et pour la vie, la beauté de la Création, l’amour du Créateur et des Créatures. Rien ne prédisposait cette jeune femme sensible à un tel combat. Née et éduquée dans une famille ignorant tout de la tradition, passionnée de littérature russe, de psychologie et de spiritualité, elle dut murir très rapidement et se tourner vers ses ressources intérieures pour affronter le Mal et accueillir en elle le Créateur exilé du monde par la cruauté humaine. Elle trouva en elle-même le secret de la prière et de la transformation de soi en un Sanctuaire ouvert à tous. Ses derniers mots confiés à une carte postale glissée du train qui les emportait elle et les siens vers le camp de la mort étaient une phrase traduisant Tehilim : Dieu est ma chambre haute- Hachem mivtsari.
Notre cœur, cet organe sensible et vulnérable, marque les limites concrètes de notre espace intérieur. Certes, comme le dit Blaise Pascal, nous ne sommes rien dans l’infini, mais nous pouvons nous ouvrir à l’infini dans l’amour et la gratitude pour la vie qui nous est donnée.
Je viens d’en recevoir le signe. Une défaillance cardiaque m’a confié en urgence aux mains d’anges de vie et de compassion qui m’ont ouvert à nouveau les portes de la vie. Pour moi, ce fut un rappel salutaire. Alors que l’actualité nous présente la laideur des combats politiques, j’ai pu constater qu’existent ces sanctuaires de dévouement et de compassion où s’effacent les frontières qui nous divisent.
“Dans l’étroit Tu m’as élargi”. Au sens littéral, mes artères qui avaient dangereusement rétréci se sont élargies et la vie jaillit comme un chant de louange au Créateur de la vie, à Ses bons anges et aux plus proches des proches, ma compagne de vie sans laquelle ces lignes n’auraient pu être écrites, mes chers enfants et petits-enfants et tous mes compagnons de route. Qu’ils soient ici remerciés.
Rav Daniel Epstein
Que l’Éternel renouvelle Daneil Epstein dans tout son être. J’ai eu le privilège de l’entendre dans une conférence à Jérusalem, conférence qui m’a beaucoup marqué