Pas facile de traduire ! Surtout de l’hébreu au français !
Comment traduiriez-vous, par exemple, les premiers mots du Décalogue ?
“Je suis l’Eternel ton Dieu”, semble bien être la version la plus proche du texte hébraïque. Et pourtant, c’est “Ani” qui signifie “je”, pas “Anokhi” ! Ou plutôt, Anokhi est une autre forme de “Je”. Rav Ariel, de Ramat Gan, va même jusqu’à écrire :
” Ani et Anokhi ne peuvent cohabiter ensemble : l’un est même l’exact opposé de l’autre. Ani, c’est le “je” de Descartes, du fameux “je pense donc je suis”. L’homme est au centre de sa philosophie et sa capacité à penser fait de lui ce qu’il est. Anokhi sous-entend, à l’opposé, la centralité de Dieu, de “Celui qui dote l’homme de la connaissance et lui enseigne le discernement”, comme nous le disons 3 fois par jour dans la Amida.
Commencer le Décalogue par Anokhi, c’est affirmer que tout ne commence pas par l’homme et par sa pensée mais par Dieu et par sa volonté. Ou, pour citer le magnifique texte d’Edmond Fleg dans son “pourquoi je suis Juif” :
“Je suis juif, parce qu’au-dessus de l’Homme, image de la divine Unité, Israël place l’Unité divine, et sa divinité.”
Il me semble d’ailleurs que le verset décrivant les Hébreux “arrêtés au pied de la montagne” (Chemot, 19,17) reflète la même idée. Car, là aussi, la traduction est inexacte. Le texte hébraïque dit littéralement : ” en-dessous de la montagne”, qu’il faut probablement comprendre au sens figuré, “au pied de la montagne”, mais qui suggère en deuxième lecture, l’idée que le peuple se rendait compte, face à l’immensité de la présence divine, de sa modeste condition humaine, comme si le poids de la montagne sur laquelle résidait la présence divine, l’écrasait. C’est d’ailleurs sur le double sens de ce mot qui signifie à la fois “au pied ” et “en-dessous” que s’appuie le fameux midrash qui nous décrit les Hébreux menacés d’être réellement écrasés par la montagne qui semble planer au-dessus de leur tête, comme pour les obliger à accepter la Thora. Etrange midrash, en vérité, qui suscite de nombreuses interprétations mais dont la plus évidente semble bien être celle-ci : impossible de recevoir une Thora si, au préalable, on n’a pas réduit notre ego pour lui faire de la place !
Et puisque nous en sommes à décortiquer le texte en se méfiant des traductions par trop hâtives, ce même verset prétend-il réellement que les Hébreux s’étaient “arrêtés” au pied (ou en-dessous) de la montagne ? Le terme hébraïque que la Bible du Rabbinat traduit par ‘arrêtés’, vient du mot ‘Yatsiv‘, qui signifie ‘stable’. Le verset veut sans doute davantage suggérer que les Hébreux se sont stabilisés au pied de la montagne. Car si pour accepter une Thora, il convient de rabaisser son égo et d’accepter d’entendre le message divin, il n’est pas pour autant recommandé de s’effacer entièrement. L’homme Juif ne prie pas couché comme son cousin musulman en proclamant “Dieu est grand”, ce qui sous entendrait que je suis, moi, si petit en comparaison que je n’existe plus devant Lui. Il faut savoir rester ‘yatsiv‘, stable, même si on est conscient de n’être encore qu’au pied de la montagne. Le Juif qui prie n’est pas couché mais debout. Sa prière s’appelle la Amida qui signifie précisément être debout. Dans de nombreuses synagogues, n’est-il pas écrit : “Sache devant qui tu es debout!”? Il y a dans cette petite phrase tout le paradoxe de la place de l’Homme devant son Créateur : d’une part il reconnait l’infinie distance qui le sépare de Lui (“Sache devant qui”) mais d’autre part, il n’a pas pour autant l’intention d’abdiquer ses sentiments ou d’étouffer sa pensée (“tu es debout”).
Comme un alpiniste prêt à entamer l’escalade, le peuple se retrouve donc à la veille de “Matan Thora”, stable et au pied de la montagne, prêt, lui aussi, comme Moshé lui en montre l’exemple, à monter vers Celui qui l’appelle et qui l’attend.
L’incroyable aventure d’Israël peut alors commencer.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….
Rav Elie Kling
Ani, c’est le “JE” qui s’impose par sa puissance d’une façon péremptoire, l’homme l’utilise pour s’affirmer jusqu’à , dans certain cas, écraser l’autre.
Tandis qu’Anokhi, c’es la dimension du “Je” plein d’amour et de prévention vis à vis de l’être vivant créé par D.ieu. En effet, D.ieu a créé par la puissance de sa parole, elle peut écraser l’individu; “Anokhi”, c’est la dimension de proximité, toute en douceur sereine, qui avertit l’individu (dans qui D.ieu a mis [bétokho] son souffle provenant de son intériorité) de ne pas s’effrayer, pour lui remettre “la Loi” qui est bonne pour lui, non pas pour punir, mais pour le préserver. D.ieu a dû “hausser” un peu sa voix, parce que la Loi énoncée a été clamée au monde entier, et pour ce peuple si fragile, venant d’être libéré depuis 49 jours d’un esclavage terrible, il pouvait s’effrayer.
il le fut malgré toute cette prévenance, au point où, après le 2e commandement, le peuple s’écria, Moïse ! reçois la Loi pour nous car nous ne pouvons supporter la puissance divine.
je comprends mieux Lévinas et son rapport à l’Autre avec cette explication …mais c’est toute la richesse et l’intérêt du
judaïsme que ces multiples interprétations.Merci.