20 ans déjà. Mais je me souviens de cette maudite soirée du 4 novembre, comme si c’était hier : de la stupéfaction, du choc, de la douleur , de l’émotion qui nouait ma gorge lorsque j’ai eu la lourde tâche d’annoncer, sur la fréquence juive parisienne, la terrible nouvelle, de la colère, aussi, en découvrant que l’assassin portait une kippa. Pour moi, Itzhak Rabin avait été un héros : le jeune officier du Palma’h, le chef d’état major de la guerre des Six Jours, le maitre d’œuvre d’Entebbe, le Monsieur Sécurité d’Israël. Certes sa poignée de main avec Arafat sur les pelouses de la maison Blanche, le 13 septembre 1993, et ses propos méprisants envers les habitants du Golan et par extension des implantations juives («Ils peuvent tourner comme des hélices ») avaient considérablement atténué mon admiration à son égard .
Mais tout en étant opposé à sa politique, je continuais à le respecter, d’abord pour avoir consacré sa vie à la Défense d’Israël mais aussi parce qu’il était le Premier ministre de mon pays, élu démocratiquement. C’est pour cela, mais aussi pour condamner, sans appel, le geste fou d’un juif religieux, que le lendemain, j’étais parmi le million d’Israéliens venus se recueillir devant la dépouille mortelle d’Itzhak Rabin sur l’esplanade de la Knesset. Mais je me souviens aussi du premier malaise, en rentrant et en découvrant, le soir même, à la télévision, Haïm Yavin le mythique présentateur du JT affirmer que durant toute la journée « des centaines de milliers d’Israéliens sont venus rendre hommage à Rabin… et à la voie de la paix qu’il a choisi ». Cette première déformation a été suivie de bien d’autres.
Ainsi, un ami de gauche, rencontré par hasard, m’avait immédiatement accusé, le plus sérieusement d’avoir « appuyé sur la gâchette », d’avoir cautionné la « vague d’incitation initiée par les rabbins », et d’autres « crimes » de ce type. Et je me souviens qu’au lieu de prendre le deuil de Rabin, au lieu de tenter de comprendre comment nous avions pu en arriver là, j’ai du consacrer tout mon énergie d’homme libre à me défendre contre certains de ces apotres de la tolérance qui tenaient à tout prix à m’asseoir sur le banc des accusés. J’ai voulu leur expliquer que je n’avais jamais maudit Rabin, que je ne l’avais même pas insulté et que je n’avais jamais imprimé ces affiches où il porte un uniforme SS. Mais personne à l’époque ne voulait entendre. J’étais religieux donc quelque part complice de l’assassin… Ceux d’entre nous qui ont vécu ces semaines terribles consécutives au 4 novembre 95 n’ont pas oublié que celui qui portait une kippa crochetée était suspect de complicité avec l’assassin; que l’on n’osait plus prononcer le nom d’Itzhak Rabin à la terrasse des cafés de crainte de voir surgir des agents du Shin Bet devenus soudain incroyablement efficaces, après leur effroyable bévue.
Puis il y avait eu la vague d’attentats de l’hiver 1996, l’opération « Raisins de la Colère » et enfin l’élection inattendue de Byniamine Netanyaou. Autant d’événements qui avaient quelque peu atténués ce sentiment de culpabilité que les partisans d’Oslo faisaient peser sur ceux qui refusaient de s’identifier avec le processus d’Oslo enclenché par Itzhak Rabin. Mais alors que le sionisme religieux pouvait enfin entamer son examen de conscience et se lançait dans de multiples tentatives de renouer un dialogue fraternel avec la gauche israélienne, cette dernière semblait attendre l’occasion de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Et c’est ainsi qu’au fil des ans, les rassemblements commémoratifs de l’assassinat sur la place Rabin autour du 4 novembre, se sont transformés en de véritables tribunaux de campagne dans lesquels les « procureurs de la paix d’Oslo » fustigeaient à nouveau, souvent en termes méprisants ceux qui avaient osé se démarquer de la « voie de la paix tracée par Rabin ». La gauche israélienne s’est accaparée le souvenir de Rabin, a pris possession de son héritage, gommant au passage certains éléments qui ne cadraient pas avec son image de pèlerin de la paix. Elle a fait du podium sur la grande Place, sa chasse gardée et a refusé de la partager avec ceux qui, tout en s’opposant idéologiquement à Rabin, condamnaient avec fermeté son assassinat. Car pour elle, celui qui refusait Oslo en était quelque part responsable…. « Tu l’as assassiné et tu en a hérité ? » n’était que l’un des slogans brandis par les manifestants sur la place Rabin à l’adresse de Byniamine Netanyaou et de l’électorat de Droite entre 1996 et 1999. Depuis bien peu de choises on changé.
La tension s’est apaisée mais la semaine de commémoration de l’assassinat, entre la se. C’est la semaine où toutes les accusations, même les plus absurdes sont permises si elles sont formulées par la Gauche, et formellement interdites lorsqu’elles date hébraïque du 11 héchvan et celle du 4 novembre est celle où les opposants politiques à Rabin font le dos rond, et attendent que la tempête, ou ce que certains appellent le « festival », pas proviennent des rangs la Droite. Editorialistes et même simples journalistes balayent, durant cette période, toutes considérations éthiques et professionnelles pour s’en prendre, au nom de la défense de la Démocratie, et sans ménagement, à ceux qui n’ont commis d’autre crime que celui de ne pas avoir suivi Rabin. Pendant 17 ans, en dépit des efforts entrepris par certaines personnalités de bonne volonté, le grand meeting du 4 novembre « sur la Place » est demeuré l’occasion pour la Gauche , ou ce qu’il en reste, de faire passer son message partisan. Certes, au cours des trois dernières années, des changements encourageants sont intervenus. Mais, même samedi soir dernier, alors que les organisateurs , à savoir le Conseil des mouvements de Jeunesse, avaient tout fait pour tenter de maintenir une forme de solennité unificatrice et pour empêcher tout message politique, des dérapages se sont produits : Barack Obama d’abord qui a appelé, par vidéo, à la solution de deux états pour deux peuples ou encore Yonathan Ben Artzi, le petit-fils de Rabin, qui a appelé le gouvernement a reconnaitre sans condition un état palestinien.
C’est à cause de déclarations partisanes de ce type, qu’en 20 ans, je ne suis jamais revenu « sur la Place » un 4 novembre. Et avec moi des centaines de milliers d’Israéliens qui ressentent toujours le même pincement au cœur de ne pas pouvoir clamer leur opposition la plus farouche à toute incitation à la haine et leur condamnation la plus totale de l’assassinat d’Itzhak Rabin. Il reste à espérer que dans 20 ans, peut-etre avant, les organisateurs auront compris cette nuance de taille et offriront à tous les Israéliens l’occasion d’évoquer le souvenir de Rabin, dans l’unité, la fraternité et le respect mutuel. Il reste à espérer que ceux qui se réclament de l’héritage de Rabin comprendront , comme l’a si bien exprimé, samedi soir « sur la Place » Sara Rosenfeld, la mère de Malahi, assassiné, il y a 4 mois dans un attentat en Judée Samarie, que la Paix avec nos voisins passe, avant tout, par la Paix entre nous. Et que la Paix entre nous ne s’installera lorsque, nous saurons voir, comme nous l’enseigne rabbi Elimeleh de Ligensk , les qualités de notre prochain et non ses défauts….
Daniel Haïk