Le peuple juif, contrairement aux grandes civilisations antiques, ne s’est pas distingué par la construction d’œuvres architecturales prestigieuses. Les juifs, écrit Abraham Heschel, n’ont pas bâti dans l’espace, ils sont “les bâtisseurs du temps”.
Shabbat, Roch Hodesh, Régalim, Rosh Hachana, Yom Kippour rythment le cycle de l’année et constituent une sorte d’architecture temporelle. Cette structure du calendrier juif marque un arrêt dans le flux temporel et ouvre la perspective de l’éternité.
Les trois Régalim relèvent, certes, de l’ordre historique : Pessah se réfère à la sortie d’Egypte, Chavou’ot, au don de la Loi et Soukoth, à l’existence dans le désert. Cependant le rite leur confère un sens éternel, que chaque génération doit revivre pour son compte.
Le Seder de Pessah est, à cet égard, exemplaire, le repas, de par sa ritualisation intégrale, transcende la pure et simple commémoration. Comme l’écrit Franz Rosenzweig, le Seder “ne se contente pas de commémorer un événement passé, ni même d’anticiper un événement futur, il est cet événement même dans l’occurrence présente, chaque année répétée, mais chaque fois unique.” (L’Etoile de la rédemption).
En effet, le sens premier de cet événement se renouvelle chaque année, le peuple d’Israël connaît une renaissance à la fois communautaire et spirituelle.
Communautaire, par le rassemblement de la famille élargie et par la participation essentielle des enfants qui assure la pérennité du peuple. Spirituelle, par la manière dont la Haggadah s’interroge sur la signification même du rite qui s’accomplit sous nos yeux.
La Haggadah est, en effet, une réflexion sur la situation même que nous vivons, les mets que nous consommons et les gestes que nous exécutons.
Le texte ne cesse d’insister sur le sens actuel de l’enseignement : “Mitzwah aleinou lésaper béyétsi’at mitsraïm” et non pas ” ét yétsiat mitsraïm” (“Nous devons raconter dans la sortie d’Egypte” et non pas simplement “la sortie d’Egypte”).
L’événement doit être raconté comme s’il était vécu actuellement car ce n’est pas sa dimension historique qui prime mais son sens permanent. Il faudrait le vivre du “dedans” et non à partir d’une perspective extérieure.
“Auparavant nos pères étaient idolâtres et maintenant D.ieu nous a rapproché de Lui.” Il s’agit d’un maintenant éternel, constamment renouvelé de façon concrète par le rite même que nous sommes en train d’accomplir.
C’est de cette éternité qu’il est question dans la bénédiction prononcée après la lecture de la Torah : “Hayé olam nataa bétokhénou”, vie éternelle plantée en nous que le rite éveille !
David Peretz