En vertu de l’indéfectible amitié tchéco-israélienne, j’ai accepté de fêter Pessa’h en famille à Prague, cette année mais également de nombreuses autres fois depuis la fin de la dictature communiste. Lors de mon premier Seder à Prague, l’oncle Isaac m’a demandé quel monument avait ma faveur dans la ville aux cent tours : « le mur John Lenon ». Je savais qu’il attendait la description par le menu d’une des six synagogues, de la statue du Maharal et de son Golem, de la « Maison à la Minute » où vécu Franz Kafka, ou du vieux cimetière juif, mais non, « le mur John Lenon ». J’avais les paroles d’une chanson en tête, ce n’est pas ma faute : « You may say I’m a dreamer, But I’m not the only one … ». Le mur John Lenon fut mon véritable coup de cœur, en tant que symbole de la liberté d’expression et d’un combat contre une dictature. Après la chute du communisme, le mur est devenu un lieu de mémoire de la lutte contre tous les régimes totalitaires. Encore aujourd’hui, de nouveaux graffitis, dessins, slogans, messages de paix et d’amour y sont en permanence ajoutés, ce qui en fait un monument en perpétuelle évolution. Avec le recul, je ne me suis pas trompé, même si le mur désormais institutionalisé est devenu une attraction touristique. Le quartier juif aussi, ce qui me rend amer.
– « Pourquoi cette amertume ?» me demande mon voisin de table.
– « Pourquoi ???? Ce n’est pas le raifort sur la table qui est en cause », le quartier juif, attraction du tourisme de masse, vidé de ses habitants, me laisse à penser que quelque part les Nazis ont atteint leur objectif. Ce n’est pas si simple. L’histoire des Juifs de Bohême-Moravie remonte à plus de 1000 ans. Au cours des siècles, leur situation a fluctué en fonction des attitudes des gouvernements et de la population locale, avec des exactions, des expulsions, des restrictions, des ghettoïsations et des discriminations quasi permanentes. Le bonnet jaune annonçant la « Judestern », les pogroms les meurtres de masse et la peste brune. Au 19ème siècle, les Juifs de Bohême-Moravie émergent en tant que leaders dans de nombreux domaines, et bien entendu c’est là que ça se gâte vraiment pour eux. La grande majorité n’a pas survécu à l’Holocauste. Près de 800000 Juifs de Tchécoslovaquie ont été déportés vers des camps de concentration et d’extermination.
L’oncle Isaac connait tout ça. Il voudrait savoir si j’ai visité le fabuleux musée de Prague : « La création du musée remonte à 1906, lorsque des citoyens de Prague ont commencé à collecter des objets et des documents liés à l’histoire de la communauté juive de la ville. Au fil des ans, la collection s’est enrichie grâce à des dons, des achats et des fouilles archéologiques ».
Je lui réponds par une autre question : « le musée de la race éteinte ? »
Il semble surpris. Je lui sers une nouvelle tranche d’histoire entre trois matzot et quatre coupes de vin : « N’ayant pas encore assassiné 6 millions de personnes, le « cinglé colérique » envisageait de créer à Prague, ni plus ni moins que « le musée de la race éteinte ». Les nazis ont entreposé au sein de ce musée, de nombreux objets confisqués à la communauté juive dans tout le pays et en Europe centrale. Après la guerre, un autre fléau a tapé à la porte de Prague, le communisme. En 1948, le gouvernement communiste tchécoslovaque prend le contrôle du musée et commence à appliquer des politiques visant à limiter la diffusion de l’héritage et de la culture juive. De nombreux Juifs ont été persécutés, emprisonnés et exilés pendant cette période, ce qui a entraîné un déclin de la communauté en Bohême-Moravie. »
– « Et le ‘houtspah, le culot, l’audace ? » insiste l’oncle Isaac, « cette défiance envers les normes établies selon les conventions sociales, et la volonté de vivre sa vie en ses termes propres, même si cela implique de défier les attentes ou les limites que d’autres pourraient avoir. Ce n’est pas rien le ‘houtspah. La preuve, depuis la chute du communisme en 1989, la communauté juive a pu se reconstruire et retrouver une certaine stabilité. ».
Les arguments de l’oncle Isaac se tiennent. Ils s’illustrent même par les échanges que j’ai le lendemain avec Julien Oppenheimer-Halimi l’arrière-petit-fils d’Edgar Faure. Julien est étudiant en Droit et membre du « Česká unie židovské mládeže, l’Union des étudiants juifs Tchèques ». Il a mille cordes à son arc, a été publié, parle 6 langues couramment, enseigne le français à Prague (ainsi que la technique du « Rubik Cube »), a fondé une association d’étudiants juifs au sein de son université lors de sa licence. Il voulait vivre ailleurs, son premier choix était Israël mais il est tombé amoureux, d’une jolie étudiante et de Prague. Julien est confiant, l’Aliyah viendra. Son plan de carrière est ambitieux, l’an prochain, à 24 ans, est prévu un bref retour en France, il sera avocat d’affaires. C’est très jeune, il y a un précédent dans la famille, Edgar Faure fût le plus jeune avocat de France à 21 ans. L’arrière-grand-père de Julien était un pilier de la Quatrième République, connu pour son pragmatisme et son rôle important dans l’adoption de la Constitution de la Cinquième République. Il a occupé plusieurs postes ministériels, notamment à l’Éducation nationale, à la Justice et aux Affaires étrangères. Comme quoi le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre. D’ailleurs, Rodolphe Oppenheimer, le père de Julien, est un psychanalyste reconnu, un homme politique et un auteur à succès.
J’écoute Julien faire la somme de ses projets, de ses initiatives. Je le suis avec intérêt dans les dédales de ses convictions. Lui qui a participé à des concours d’éloquence disserte sur la Tchéquie, le pays le plus athée dans le monde. Il argumente, explique pourquoi il n’y pas une once d’antisémitisme et les bénéfices pour le judaïsme. Lors d’un recensement plus de 15 000 Tchèques ont répondu à la question religion : le «Jediisme» (des Jedi de Star Wars), au moins ils ont le sens de l’humour. Julien évoque les initiatives de « l’Union des étudiants juifs Tchèques » à Prague et en Israël. C’est riche, très riche. Avec cette jeunesse, le « cinglé colérique » a définitivement perdu la partie. Nous pouvons en déduire qu’avec un tel ‘houtspah chez ces jeunes, le musée de Prague peut être considéré comme celui de « la race vivante et libre ».
Les flots de la mémoire ont englouti les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Séleucides, les Croisés, les Ottomans, les nazis, les communistes et bien entendu les légions égyptiennes (oui, oui c’est Pessa’h). Les Juifs (0,003 % de la population mondiale), autrefois esclaves, sont maintenant libres. J’aime à le croire. Et si je me trompais ? Si le combat contre la bête immonde n’était pas fini ? La veille de notre échange, Julien était avec ses camarades pour une Havdalah (cérémonie qui marque la fin du Shabbat) au « Moishe House Prague », où ils recevaient leurs homologues, une soixantaine d’étudiants allemands du JSUW (Jüdische Studierendenunion Württemberg). Le lendemain, ils organisaient tous ensemble un Seder de Pessa’h à la synagogue Libeňská. Au même moment on défilait à Berlin aux cris de « mort aux Juifs, mort à Israël ». Que dire de plus, … Hag Pessah Sameah ?
Eden Levi Campana
Beau texte plein d’Espoir. Am Israel ´Hai !