A l’heure où nous imprimons ce numéro, la coalition risque de tomber. Des négociations sont en cours pour sauver le gouvernement qui est censé tenir jusqu’en novembre 2019. Chaque acteur de la coalition veut tirer profit du départ de Liberman et il semblerait que notre premier ministre soit dans une position délicate.
LPH vous propose d’y voir plus clair dans ces derniers rebondissements politiques mis en perspective avec les tensions dans le sud. C’est Ariel Kahana, analyste politique reconnu, ancien chroniqueur pour Makor Rishon et NRG, et aujourd’hui journaliste politique pour Israel Hayom, qui répond à nos questions.
Le P’tit Hebdo: Que vous ont inspiré les rebondissements politiques de ces derniers jours?
Ariel Kahana: Il ne fait pas de doute que nous vivons une période tourmentée. Il y a une forte probabilité pour que le gouvernement n’y résiste pas. Elle est le résultat d’une énigme pour nous: la façon dont le dernier round avec le Hamas s’est achevé. Pour beaucoup, il semble que le cabinet de sécurité a fait preuve de faiblesse. Mais la réalité doit être bien plus complexe. Les débats sont nombreux et sérieux au sein de cette instance et doivent, par définition rester secrets. Donc nous ne maitrisons pas tous les éléments. Si tout le monde était en faveur du cessez-le-feu, à part quatre ministres, nous ne pouvons en tirer des conclusions à l’emporte-pièce.
Lph: Dans ce cas, doit-on considérer que la démission de Liberman est motivée par des calculs politiques ou par des questions de valeurs et de principes?
A.K.: Je suis de ceux qui pensent, que chez les hommes politiques, les deux aspects sont toujours présents. Ils ne savent souvent pas eux-mêmes distinguer entre les deux. Il est clair que les désaccords entre Liberman et Netanyahou existent et sur des questions fondamentales. Liberman était contre le transfert de l’argent qatari et contre le cessez-le-feu, pour ne citer que les débats les plus récents. Je le crois lorsqu’il annonce qu’il ne peut plus continuer à appliquer des décisions auxquelles ils s’opposent moralement.
Mais il est aussi un politicien. Il sait très bien qu’être un ministre marionnette ne jouera pas en sa faveur. Il pense que démissionner lui apportera de la force politique. J’estime aussi que cela pourra l’aider dans les sondages. Mais l’interrogation principale sur le plan de la stratégie politique, c’est dans quel but Liberman souhaite provoquer des élections? Il a déjà occupé les postes de ministre des Affaires étrangères et de la Défense. Que peut-il encore demander? Pourquoi aller aux élections et chercher à gagner plus de sièges? On voit mal quels sont ses plans.
Lph: Naftali Bennett s’est immédiatement porté candidat pour remplacer Liberman. Il menace de se retirer de la coalition et donc de faire tomber le gouvernement s’il ne l’obtient pas. Est-il l’homme fort de la situation, le grand gagnant de ces chamboulements?
A.K.: Non, je ne le crois pas. Il est vrai que la démission de Liberman lui ouvre une opportunité pour occuper le poste dont il rêve depuis longtemps. Mais au final, sa nomination dépend de plusieurs agents extérieurs à Netanyahou dont les chefs de file de la coalition, et il n’est pas certain d’obtenir gain de cause. De ce point de vue, il ne sort pas gagnant des derniers événements.
Lph: Si nous allions vers des élections, Netanyahou aurait-il à craindre pour son avenir? Les sondages ne lui sont guère favorables à la sortie de la dernière escalade avec le Hamas, du moins sur le plan personnel. A-t-il intérêt à reculer l’échéance électorale?
A.K.: Ce que nous ont montré les sondages aussi bien ici qu’à l’étranger, c’est que les électeurs sont imprévisibles. L’élection de Donald Trump en a été une preuve flagrante. Je pense que Netanyahou reste le favori en cas d’élections, il n’y a pas meilleur que lui, pour l’instant. De là à dire que c’est gagné d’avance, je ne m’y risquerai pas. En effet, la situation dans le sud pèse dans la balance, mais il ne faut pas perdre de vue que les électeurs sont préoccupés par d’autres sujets, qui influencent aussi leur vote.
Par ailleurs, la carte politique à l’heure actuelle est encore trop floue pour pouvoir tirer des conclusions. On ne sait pas encore ce que fera Benny Gantz, par exemple et la présence de nombreux partis, petits et moyens, comme Yesh Atid, Koulanou, celui d’Orly Lévy Abecassis, et encore d’autres peut-être, brouillent nos grilles d’analyse. On peut tout à fait envisager une union de ces formations politiques ou bien d’autres schémas qui, d’ici aux élections, peuvent nous réserver des surprises.
Lph: Au milieu de ces méandres politiques, comment rétablit-on notre force de dissuasion face au Hamas?
A.K.: Notre force de dissuasion n’est pas mise à mal. Le problème est, comme le souligne le Général Yaïr Golan, que Tsahal n’exploite pas au maximum la force dont elle dispose. Nous avons l’une des armées les plus puissantes au monde, et nous sommes mis durement à l’épreuve par une petite organisation terroriste. Cela ne nous dit rien de bon. En effet, il s’agit aussi d’une question politique: oser des actions militaires intelligentes et dissuasives qui ne sont pas forcément synonymes d’actions violentes.
A Gaza, les problèmes de fond sont multiples: économique, sociétal, humanitaire. Nous devons penser à des solutions créatives, à l’image de celle défendue par mon confrère de Makor Rishon, Shalom Yeroushalmi: encourager l’émigration depuis Gaza vers les pays qui accueillent des réfugiés et puisque l’Egypte ne veut pas prendre de responsabilité vis-à-vis de Gaza et qu’Israël ne le peut pas, alors nous devons penser à introduire de nouveaux acteurs dans la danse.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Photo à la une by Yonatan Sindel/Flash90