Dieu a ordonné à Abraham de se rendre dans le pays de Canaan, terre qui lui était dès lors promise, à lui et à sa descendance. Il sillonne le pays dans toutes les directions, et devient riche et puissant. Abimèlekh, roi des Philistins, cherche à conclure une alliance avec lui. Cette alliance sera scellée pour de nombreuses générations et on nommera la ville où cet événement capital a eu lieu Beercheva, le mot cheva signifiant serment.
Isaac, le fils d’Abraham, devenu un puissant seigneur, s’enracine dans le pays et Abimèlekh, accompagné de son ministre de la guerre, lui demande de renouveler l’alliance conclue avec Abraham.
Isaac, à son tour, a eu deux fils. On pourrait s’attendre à ce qu’ils pérennisent l’installation des Hébreux dans le pays de Canaan. Mais la haine implacable qui s’installe entre les deux frères rend caducs tous ces espoirs.
Jacob, qui a reçu la bénédiction paternelle et à qui revenait la lourde tâche de rendre irréversible la présence juive dans le pays, doit s’enfuir. Dans sa course éperdue, il ne peut emporter pour tout bagage qu’un bâton et arrive chez Laban, à Padan Aram, comme un misérable étranger.
Pourquoi l’Histoire marque-t-elle ici un temps d’arrêt ?
« Jacob partit de Beerchéva. » [1]
Pourquoi cette information est-elle répétée ? À la fin de la paracha précédente, la Thora a déjà mentionné que Jacob avait quitté la maison paternelle pour se rendre à Padan Aram.
Ainsi, dit le Midrach[2], l’expression « Jacob quitta Beercheva (c’est-à-dire “les puits du serment”) » signifie que Jacob voulait échapper au « serment » afin, pensait-il, qu’Abimèlekh ne prenne pas contact avec moi et me demande : « Contracte avec moi un serment à l’instar de ton ancêtre Abraham » car je retarderais la joie de mes enfants pour sept générations.
En effet, les Sages du Midrach ont condamné très fermement l’alliance d’Abraham avec Abimèlekh. Citons le Rachbam, petit-fils de Rachi, qui rapporte ce midrach et le commente[3] :
« Après qu’Abraham eut conclu l’alliance avec Abimèlekh pour lui, son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils, alliance qu’il scella en lui remettant sept brebis, Dieu se mit en colère contre Abraham car la terre des Philistins avait été donnée à Abraham … et ainsi j’ai trouvé dans le Midrach : Dieu lui dit : “Tu lui as donné sept brebis, aussi Je le jure, leurs enfants feront sept guerres contre tes enfants et vaincront”, ou autre explication : “Ils tueront sept justes de ta descendance, Samson, Hofni, Pinhas, le roi Saül et ses trois fils”, ou autre explication : “Leurs fils détruiront sept tabernacles, celui du désert, du Guilgal, de Guivon, de Nov, de Chilo, et les deux Temples de Jérusalem.” »
Le départ de Jacob n’était donc pas du tout un abandon d’Eretz Israël. Jacob avait compris que le peuplement juif d’Eretz Israël avait pris un mauvais départ ; la tribu des Hébreux, au lieu de se distinguer des habitants du pays, accepte de contracter avec eux des pactes, d’abord Abraham puis Isaac, contraint de les renouveler pour ne pas porter atteinte à l’honneur de son père.
Jacob savait que lui seul représentait vraiment Israël ; aussi ne voulait-il en aucune manière prolonger l’engagement d’Abraham. Déchiré entre le respect de la parole des pères et la fidélité à Eretz Israël, il évita la confrontation avec Abimèlekh, qu’il ne rencontrera jamais, en quittant le pays.
À Padan Aram, Jacob crée une grande famille. Il a douze fils qui deviendront autant de tribus, l’amorce d’une véritable nation. Durant ces vingt années d’absence, il aura pu, à la fois rompre les liens qui unissaient la famille avec les peuples environnants tout en amassant une fortune considérable et en s’attachant de très nombreux serviteurs.
À son retour, il ne sera plus un homme seul et errant mais, grâce aux bénédictions divines qui se seront réalisées, il sera à même d’affronter tous ceux qui se dresseront sur son chemin et tenteront d’empêcher la nouvelle installation juive en Israël.
Le but véritable du départ de Jacob d’Israël était donc de préparer un nouveau départ en Israël.
[1] Genèse xxviii, 10.
[2] Midrach Sekhel Tov s/Genèse xxviii, 10.
[3] Rachbam s/Genèse xxii, 2.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko