« Isaac aimait Ésaü car celui-ci était chasseur[1]. »
Comment Isaac pouvait-il préférer Ésaü à Jacob, qui étudiait continuellement la Thora ? C’est bien Jacob qui suivait l’exemple de son père, qui avait étudié à la yechiva de Chem et de ‘Ever[2]. Le motif donné est encore plus surprenant, « car Ésaü était chasseur » ou, mot à mot, car « il apportait des produits de la chasse dans la bouche d’Isaac. » Voici donc Isaac, l’homme qui a su faire abstraction de son corps au moment de la ‘aqéda, qui se laisse séduire par la bonne chère.
Dans l’histoire biblique, les Justes exercent invariablement le métier de berger. Abel menait paître ses moutons, alors que son frère Caïn travaillait la terre. Abraham, Jacob, Moïse notre Maître, et le roi David, tous sont des bergers. D’après le Midrach Rabba[3], cette activité constituait l’apprentissage nécessaire pour devenir « bergers de leur peuple ». Ils étaient des hommes pleins d’amour et de compassion qui n’hésitaient pas à porter une bête blessée sur leur dos.
Contrairement au paysan, attaché à sa terre, on pourrait même dire enraciné en elle, qui lui assure sa subsistance, le berger, lui, va par monts et par vaux, sans domicile fixe, dépendant toujours de la volonté divine. C’est cette conscience qui fait aussi du berger un poète, un homme qui chante les louanges de Dieu.
Isaac, lui, est un paysan : à la fin de ‘Hayé Sara, la Thora rapporte qu’Isaac « sort s’occuper de ses champs et partager le travail de ses ouvriers (traduction du Rambam et de Ibn Ezra pour le mot lassoua‘h[4]) ».
Dans notre paracha, la Thora précise qu’Isaac semait et que Dieu bénissait sa terre. Isaac n’a pas le droit de quitter Eretz Israël. Il est, parmi les patriarches, celui qui préfigure le mieux ce que devra être la nation juive sur sa terre. Il ne choisit point le métier de berger car il sait que le moment est venu pour le peuple juif de devenir une nation avec sa terre propre, qu’il doit faire fructifier et sanctifier.
Voici qu’Isaac a deux fils. L’un, Ésaü, est un véritable homme d’État. Il suit les traces de son père dans sa conscience que l’homme a le devoir de construire et de développer sa terre. Le second, Jacob, est un véritable élève de yechiva : c’est un plaisir de le voir étudier et c’est une joie pour Isaac de savoir qu’un de ses fils est un véritable Juste.
Malheureusement, aucun de ses enfants n’a réalisé l’harmonie entre le Ciel et la Terre. Isaac opte finalement pour Ésaü mais, et c’est important, dans la bénédiction qu’il avait prévue pour Ésaü, il ne mentionne pas Eretz Israël. Avant de donner cette terre qui est d’En-Haut et d’En-Bas simultanément, il voulait tester Ésaü : la bénédiction qu’il a reçue de son père va-t-elle lui permettre de donner une dimension spirituelle à la force matérielle, domaine dans lequel il excelle ?
Rivqa, elle, a compris qu’Ésaü ne peut pas se convertir mais que Jacob lui, est capable d’être celui qui embrasse en lui la double dimension du judaïsme, matérielle et spirituelle. Elle montrera à son mari Isaac que jamais Ésaü ne pourra s’approprier la voix de Jacob mais Jacob, lui, peut s’emparer des vêtements d’Ésaü. Entendant la voix de Jacob, Isaac, tâtera son fils, constatera que ses mains seront velues comme celles d’Ésaü, et s’interrogera : « Ai-je devant moi Ésaü qui a fait téchouva ou Jacob qui serait devenu soldat ? » Et puis peu importe, se dit-il, l’essentiel est que j’aie devant moi l’être qui est capable d’accomplir cette double mission, celle du peuple juif.
Aujourd’hui encore, notre peuple se cherche. Il y a ceux qui prônent la valeur de l’État, mettant en avant que le peuple juif – après la Shoah – ne serait rien sans la résurrection de son pays, et d’autres, tout aussi convaincus, qui affirment que sans la Thora il n’y a point de peuple juif, que sans la Thora il n’y a plus d’État juif possible.
Chacun doit savoir qu’il est de son devoir de défendre son peuple et prendre conscience que, pour que notre peuple ait un avenir, la Thora doit être étudiée et vécue.
[1] Genèse xxv, 28.
[2] Béréchit Rabba 63, 10.
[3] Chemot Rabba 2, 2.
[4] Genèse xxvi, 63.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko