« C’était au bout de deux ans, Pharaon rêve et voici qu’il est debout devant le fleuve, et voici du fleuve s’élèvent sept vaches d’un bel aspect et de chair saine. Elles paissaient dans le marais. Et voici sept autres vaches montent après elles du fleuve, d’un vilain aspect et de chair maigre. Elles se tinrent debout à côté des vaches au bord du fleuve. Les vaches d’un vilain aspect et de chair maigre mangèrent les sept vaches saines et d’un bel aspect. Pharaon se réveilla[1]. »
Après Jacob, Joseph, le maître échanson et le maître panetier, c’est le maître de l’Égypte qui rêve. Il clôt ce qu’on pourrait appeler l’ère des songes. Historiquement, c’est une courte période de l’histoire juive, comme une parenthèse. Dieu parle à Abraham et à Isaac. À Jacob, il apparaît dans un songe, un songe qui est comme une énigme qu’il faut déchiffrer et interpréter : « Il rêva, et voici qu’une échelle est fixée au sol et que son sommet atteint le ciel, et voici que des anges de Dieu y montent et y descendent[2]. » La parenthèse ouverte avec Jacob se poursuit avec Joseph et se ferme avec Pharaon. Dieu reprend le dialogue direct avec Moïse, puis il s’adresse aux prophètes qui sont considérés comme les successeurs de Moïse. Il faudra attendre Nabuchodonosor, au temps de Daniel, pour que l’histoire des songes reprenne, quoique de nouveau pour une courte période.
Qu’a donc de particulier l’époque de Joseph pour être ponctuée par toutes ces énigmes ?
Quelle différence y a-t-il entre une vision prophétique et un message divin perçu dans un rêve ?
Le plus grand des prophètes est Moïse. Dieu s’adresse à lui directement, comme un homme parle à son prochain, « face à face », dit l’Écriture[3]. Dans quel but ?
– Pour lui donner des ordres qu’il doit accomplir immédiatement : « Va chez Pharaon », « Fais tel ou tel prodige. »
– Pour lui donner la loi, la Thora.
– Pour lui dire d’avertir le peuple des conséquences graves qu’entraîne la désobéissance à la loi et les récompenses dont il bénéficiera s’il est fidèle.
– Pour lui annoncer les temps messianiques, la fin des temps.
Les prophètes suivent cette voie. Ils obéissent à Dieu qui leur donne parfois des ordres. S’ils n’ajoutent pas des lois à la Thora de Moïse, tous leurs efforts sont consacrés à amener le peuple au respect de la Thora. Ils grondent et tonnent contre ceux qui s’écartent de la voie droite et décrivent la beauté des temps messianiques ainsi que les affres qui vont les précéder.
Les prophètes sont donc des serviteurs de Dieu et les maîtres du peuple juif, mais ils ne sont que très rarement des diseurs du lendemain. La loi étant l’essence même de l’existence juive, c’est le rôle du prophète d’agir pour son respect. Toutes ses actions, toutes ses prophéties vont dans ce sens. Les malheurs s’abattent sur les révoltés, les temps messianiques seront la récompense de l’obéissance. Mais il n’est pas dans leur propos de décrire avec précision ce qui arrivera dans les jours ou les mois qui suivent.
Les rêves de Joseph, des serviteurs de Pharaon et de Pharaon lui-même font exception à cette règle. Lorsque Joseph rêve, il comprend qu’on lui annonce que c’est lui, le onzième fils, qui dirigera la famille. Il interprétera les songes de ses compagnons d’infortune dans les geôles de Pharaon en leur annonçant ce qui se passera dans les trois jours. À Pharaon il annoncera qu’il bénéficiera précisément de sept ans d’abondance, puis de sept ans de disette.
Ces événements sont donc déterminés : l’homme n’a pas le pouvoir de modifier leur déroulement. Ceci est contraire au fondement du judaïsme qui veut que l’homme joue un rôle dans le déroulement de son existence.
La loi vient de Dieu et nous est imposée, la finalité de l’histoire a été décidée par le Maître du monde. Pour les étapes, le rôle du peuple et de chacun de ses individus est prépondérant. Seulement, lorsque les fautes sont si grandes et que le décret est décidé, les prophètes l’annoncent à leur génération dans une dernière tentative de les ramener à la téchouva. C’est ainsi par exemple que le prophète Jérémie annonce la destruction du Temple, conséquence de la dépravation de la nation.
C’est pourquoi, les paroles annonciatrices de la royauté de Joseph, de la libération du maître échanson, de la condamnation du maître panetier, les années d’abondance et de disette ne peuvent être énoncées explicitement, elles ne peuvent être que suggérées. C’est finalement l’interprète, un homme, qui leur donne leur sens et leur dimension.
[1] Genèse xli, 1-4.
[2] Genèse xxviii, 12.
[3] Exode xxxiii, 11.
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko »A la table de Shabbat »
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