« Rappeler ce que t’a fait Amaleq, en chemin, lorsque tu es sorti d’Égypte. Il t’a rencontré sur le chemin et s’est attaqué à tous les faibles derrière toi… Il ne craignait pas Dieu… Tu effaceras le souvenir d’Amaleq. Tu n’oublieras pas[1] ! »
Pour nous expliquer qu’il faut exterminer Amaleq, la Thora nous dit qu’il ne craignait pas Dieu.
Combien de peuples devraient-ils alors être exterminés ? Les Égyptiens craignaient-ils Dieu ? Tous les autres peuples de cette époque craignaient-ils Dieu ? Est-on certain que chacun de nous craigne vraiment Dieu ?
Il nous sera aisé de comprendre qu’Amaleq était cruel, qu’il n’y avait aucune limite à sa méchanceté, et il semble logique que la Thora nous dise cela pour expliquer qu’il faille le détruire. Mais nous dire que la faute d’Amaleq était qu’il ne craignait pas Dieu, c’est là presque un compliment.
Pour comprendre cela, il nous faut saisir la signification de la crainte de Dieu.
Le Sfat Emet affirme[2], au nom du rabbi de Lublin, que la joie et la soumission à Dieu sont la même valeur, la même mida. Pour le Sfat Emet, c’est parce que l’homme réalise qu’il est éloigné de la vérité qu’il désire s’en approcher.
En général, on comprend la crainte de Dieu comme un frein, on voit en elle une qualité qui empêche l’homme de fauter, une qualité qui empêche l’homme de se révolter. Ce qui amène l’homme à s’approcher de Dieu, à accomplir Ses commandements dans la joie, c’est l’amour de Dieu, et non Sa crainte.
Ce que Sfat Emet nous explique ici est très important. Pour le comprendre, prenons un exemple appartenant au domaine de la toxicomanie. Le drogué qui ne peut trouver de la drogue se trouve dans un état de manque tel qu’il sera prêt à faire n’importe quoi pour pouvoir satisfaire son besoin. Être imprégné de la crainte de Dieu, c’est se trouver dans l’état de celui qui est en manque de Dieu. En effet, celui qui craint Dieu saisit sa place par rapport à Dieu; Il réalise combien Dieu est grand et combien lui-même est petit et insignifiant. Cette prise de conscience de cette différence a créé en lui un grand « besoin » de Dieu. S’il Le craint, c’est qu’il perçoit Sa réelle grandeur. Rien ne pourra alors l’arrêter dans sa volonté d’essayer de saisir une parcelle de cette grandeur. C’est pour cela, ajoute le Sfat Emet, que la crainte de Dieu est la qualité qui peut amener l’homme à la zérizout, à l’empressement dans l’accomplissement des mitzvot.
Celui qui aime Dieu se sent Son « égal », car l’on ne peut aimer que ce avec quoi l’on peut communiquer. C’est pourquoi seule la crainte de Dieu, la qualité de sentir, de prendre conscience de la grandeur de Dieu, va amener l’homme à la zérizout, à l’empressement, afin d’essayer de saisir une parcelle de cette majesté. Et c’est pour cela que la crainte de Dieu va de pair avec la joie de Le servir.
Si l’on nous dit qu’Amaleq ne craignait pas Dieu, on nous apprend qu’il avait la mida, la qualité de la crainte, on nous apprend qu’il était en état de manque, certes pas de Dieu, mais en état de manque quand même. Et c’est cet état de manque qui donnait à Amaleq son caractère si dangereux. En effet, Amaleq était en état de manque du mal, il ne pouvait supporter de ne pas être en train de faire quelque chose de cruel. Il était comme drogué… Aussi, rien ne pouvait l’arrêter dans son chemin destructeur.
Cela nous explique peut-être pourquoi Amaleq était descendant de Yitz‘haq. Yitz‘haq représente la mida de la crainte. Ésaü et son descendant Amaleq ont hérité de cette mida et l’ont exploitée pour faire le mal, tandis que les descendants de Yaaqov, lorsqu’ils font la guerre contre Amaleq, doivent, pour le vaincre, être remplis de la crainte de Dieu. C’est la raison pour laquelle la Thora nous dit que, lorsque Moïse levait ses mains de Moïse, Israël remportait la victoire. Et la Michna pose la question[3] : « Les mains de Moïse faisaient-elles la guerre ? » « Non », répond la Guémara. Ce verset signifie que, lorsque les Enfants d’Israël regardaient vers le haut, ils triomphaient. Ils regardaient vers le haut, c’est-à-dire qu’ils prenaient conscience du fait qu’ils étaient en bas et que Dieu était en haut. Lorsqu’ils étaient emplis de la crainte de Dieu, ils gagnaient la guerre.
[1] Devarim xxv, 17-19.
[2] Chemot, Parachat Zakhor, année 5624.
[3] Roch Hachana 29a.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko