« C’était au bout de quatre cent trente ans de séjour en Égypte, les Hébreux sortirent du pays[1]. »
Quatre cent trente ans, c’est trente ans de plus que le temps d’exil que Dieu avait annoncé à Abraham :
« Dieu dit à Abraham : “Sache que tes enfants seront esclaves dans un pays qui n’est pas le leur durant quatre cents ans[2].” »
Rachi répond ainsi à cette contradiction : les quatre cents années annoncées à Abraham doivent être comptées à partir de la naissance d’Isaac. En effet, la présence effective des Hébreux en Égypte n’a pas dépassé deux cent dix ans. Les quatre cent trente années, elles, doivent être comptées à partir du brit ben habetarim, c’est-à-dire à partir du moment où Dieu a annoncé à Abraham l’esclavage d’Égypte.
C’est une explication difficile, dit le Ramban, car il faudrait alors admettre que le dévoilement du brit ben habetarim a eu lieu trente ans avant la naissance d’Isaac, lorsque Abraham n’avait que soixante-dix ans, soit cinq ans avant que Dieu ne lui donne l’ordre de se rendre au pays de Canaan… Le Ramban résout la contradiction différemment. Donnons-lui la parole :
« Et encore je dis que la meilleure des explications est la suivante : effectivement, le compte des quatre cents ans que Dieu annonce à Abraham débute à la naissance d’Isaac, comme nous l’avons mentionné. Et les trente ans supplémentaires rapportés dans notre verset ont été ajoutés (en plus de ce qui était annoncé) à cette génération-là. Car si on décrète qu’un homme doit subir en punition de ses fautes, exil et souffrances pendant un ou deux ans et qu’il persévère dans ses égarements ou même qu’il commette de nouveaux péchés, on lui ajoutera encore de grandes punitions et on prolongera son temps d’exil. Car l’annonce de la première punition n’était pas un engagement qu’il n’en recevrait pas d’autres… De plus, il n’y a aucune promesse de Dieu qui ne puisse être annulée par les fautes de l’homme sauf lorsque Dieu a accompagné sa promesse d’un serment. Or il est un fait connu, les Hébreux en Égypte ont beaucoup fauté, ils ont même annulé la circoncision… Et c’est la raison pour laquelle Dieu a prolongé leur exil de trente ans. Ils auraient mérité que cet exil se prolonge, mais Dieu a entendu leurs cris et écouté leurs prières. »
Le Ramban nous apporte ici un enseignement capital : l’histoire n’est pas jouée d’avance. Et même lorsque Dieu lui-même a fixé une date pour la délivrance, cette date peut subir des modifications en fonction la conduite de l’homme.
Ce qui ne peut être mis en question, c’est le principe même de la délivrance. Dieu a juré, Il tient Son serment, mais les modalités, les étapes et les échéances de la délivrance peuvent dépendre de l’homme, de sa conduite, de ses souffrances et de ses prières. La Thora avait annoncé la durée de l’esclavage en Égypte, quatre cents ans, mais ce chiffre est d’abord un symbole. Il signifie que cet asservissement était une descente dans la nuit et l’enfer. En effet, le chiffre « quatre » et ses multiples signifient globalité et totalité, le chiffre « cent », un grand nombre. Cet esclavage était total tant par sa nature que par sa durée. Il était la négation de l’homme. Seule l’intervention de Dieu pourrait transformer ce non‑peuple en une nation. Mais sa traduction dans le temps est variable. Dieu, par Sa volonté, par Sa miséricorde, peut le faire débuter à la naissance d’Isaac alors que nul esclavage n’avait encore commencé, mais Il peut également le prolonger à cause de la faute des hommes…
Dieu n’enferme pas l’histoire dans une logique de dates. Ce sont les pleurs, les cris, les prières, les bonnes actions de l’homme qui peuvent et doivent influer sur le déroulement de l’histoire. C’est pourquoi nos Sages interdisent de calculer la date de la venue du Messie, ce serait faire de l’histoire un déterminisme, un retour en Égypte. Le grand Amora Rav[3] disait même que la date ultime pour la venue du Messie était arrivée et que sa venue ne dépendait plus que du repentir.
Aujourd’hui également, alors que nous sommes les témoins de la délivrance de notre peuple par la résurrection et le renforcement de l’État d’Israël, nous devons savoir que n’avons pas le droit de nous contenter d’être des témoins comme si nous étions extérieurs à une histoire dont Dieu fixe les tenants et les aboutissants.
Non, enseigne le Ramban, l’homme reste toujours le moteur de l’histoire. Vous n’avez pas le droit de vous laisser bercer par la douce musique des temps messianiques que vous vivez pour ne pas agir directement en faveur de la rédemption.
« Vous devez prendre votre destin en main, enseigne le Ramban, vous approcher de Dieu et de Sa Thora, participer à l’unification du peuple d’Israël, revenir au pays que Dieu vous donne pour que la date prévue pour la délivrance ne soit pas remise… »
[1] Exode xii, 40.
[2] Genèse xv, 17.
[3] Sanhédrin 97 b.
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko ”A la table de Shabbat”
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029972023