Rabbi Isaac dit : « La Thora aurait dû commencer par le verset : “Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois[1]” qui est le premier commandement que Dieu adressa au peuple juif. Pourquoi donc commence-t-elle par Béréchit, “Au début” » ?
Voici la réponse : « La Thora commence par Béréchit en raison de ce verset des Psaumes : “Il a raconté à Son peuple la puissance de Ses actions afin de leur donner l’héritage des peuples[2].” Si les idolâtres reprochent aux Hébreux : “Vous êtes des brigands, vous avez conquis les contrées des sept peuples”, vous leur répondrez : “Toute la terre appartient à Dieu. Il l’a créée, l’a donnée à qui il Lui plaît de la donner. C’était Sa volonté que la terre leur soit donnée et c’est Sa volonté de la leur reprendre et de nous la donner[3].” »
Cette explication de rabbi Isaac est rapportée par Rachi et c’est par elle qu’il introduit son commentaire de la Thora. Elle soulève de nombreuses questions :
– Pour lui, le sens du récit de la création n’est pas la création elle-même, mais l’établissement des Juifs sur leur terre. Quel renversement de situation !
– N’est-il pas normal de commencer par le commencement, d’autant que ce commencement est à la base de la foi juive, la croyance en un univers créé ex nihilo par Dieu ?
– De plus, jusqu’au fameux verset cité par rabbi Isaac, il y a toute l’histoire de la création du peuple juif. Serait-elle secondaire ?
Rabbi Isaac est péremptoire. Il affirme en effet : « La Thora aurait dû commencer par la première mitzva. » Ce n’est qu’ensuite qu’il pose la question : « Pourquoi donc a-t-elle commencé par le début ? » Aussi l’essentiel n’est pas la question, mais l’affirmation qui la précède.
Rabbi Isaac nous enseigne ici avec quels yeux nous devons lire la Thora.
Sachez, dit-il, que le judaïsme, c’est d’abord un univers de mitzvot, c’est d’abord une obéissance à Dieu, les dogmes et la croyance ne viennent qu’ensuite. C’est pourquoi la Thora se devait de commencer par un commandement nous enseignant ce qui est l’essentiel. Il prouve son propos par le verset qu’il rapporte. Le monde a été créé au mois de Tichri, mais Dieu ordonne aux Hébreux de considérer Nissan, le mois où le peuple juif est sorti d’Égypte, comme le premier des mois de l’année, suivi d’un long et grandiose cortège de commandements. D’abord l’action. La philosophie ne vient qu’après : le judaïsme est avant tout une morale et une éthique.
Dans sa réponse, rabbi Isaac ne remet pas en question ce qu’il a posé dans sa « question » ; il donne un éclairage nouveau au premier verset de la Bible : bara ne doit pas se traduire par « (Dieu) créa » mais par « (Dieu) se mêla ». Le commencement, poursuit-il, n’est pas un dogme, mais un point de départ, le point de départ de Dieu qui s’occupe des affaires du monde.
C’est cette prise de conscience qui est le fondement de tous les commandements divins. Puisque nous savons que Dieu a quitté les cieux pour créer l’univers, nous savons que le devenir de l’univers Lui importe.
Remarquons que rabbi Isaac glisse insensiblement sur la signification du mot « terre », qui veut d’abord dire toute la terre (« c’est Lui qui l’a créée ») puis Eretz Israël seulement (« Il vous l’a reprise et nous l’a donnée »). C’est dire que l’Univers tout entier prend sa valeur en terre d’Israël, terre sanctifiée par les mitzvot.
Nier le rapport étroit qui existe entre le peuple de Dieu et la terre appelée « héritage de Dieu »[4], c’est rejeter Dieu de l’Univers et priver l’Univers d’Eretz Israël, terre des mitzvot. En un mot, c’est ôter son sens à la Création.
[1] Exode 12, 1.
[2] Psaumes 111, 6.
[3] Rachi s/Genèse 1, 1.
[4] D’après i Samuel xxvi, 4.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko