Après un long esclavage, les Hébreux sortent enfin libres d’Égypte. Le répit ne sera que de courte durée. Les Égyptiens rapidement se ravisent et les poursuivent. Puis, c’est Amaleq, peuple puissant et cruel, qui attaque Israël. Ces guerres impitoyables se suivent, mais ne se ressemblent pas.
La guerre contre les Égyptiens est entièrement menée par Dieu ; les participants ne sont que des marionnettes. C’est Dieu lui-même qui pousse Pharaon à poursuivre les Hébreux : « Dieu parla à Moïse en ces termes : « Parle aux Enfants d’Israël, qu’ils fassent demi-tour, qu’ils campent devant la ville de Pitom (où ils venaient de recouvrer la liberté) entre Migdol et la Mer, en face de Baal Tzefon (haut lieu de l’idolâtrie égyptienne) ils camperont face à la mer. Et Pharaon se dira : les Hébreux se sont égarés ; le désert s’est refermé sur eux. Et Je renforcerai l’entêtement de Pharaon et il vous poursuivra[1]… »
Cette mise en scène a un but clairement exprimé : « … Je serai honoré par la chute de Pharaon et de son armée et tous les Égyptiens sauront que Je suis Hachem[2]… »
L’événement culminant de cette manifestation de la puissance divine fut le partage de la mer Rouge qui se referma ensuite sur les Égyptiens les engloutissant tous. Les Hébreux eux-mêmes n’étaient que des pantins lors de cette guerre ; ils étaient en danger ; mais c’est Dieu qui conduisit les opérations : « C’est Dieu qui fera la guerre pour vous et vous, restez silencieux[3] ! »
Les miracles de la sortie d’Égypte n’avaient pas pour but unique de sauver les Juifs qui auraient pu être délivrés sans cette impressionnante série de prodiges. Il s’agissait, par ces miracles, de faire connaître la puissance de Dieu. En modifiant les lois mêmes de la création, Dieu montre qu’il en est Le Maître. Mais ces ruptures avec les lois que Dieu avait établies de manière immuable au moment de la création devaient garder un caractère extraordinaire. En effet, le Psalmiste explique que « Dieu a mis dans la nature des lois qui ne doivent pas être transgressées[4]. » Aussi, habituellement, les miracles sont-ils cachés, c’est-à-dire qu’ils s’inscrivent dans le déroulement de faits naturels. L’exception égyptienne avait pour but, une fois pour toutes, de dévoiler aux hommes qui était le Créateur. La Thora elle-même insiste sur le caractère exceptionnel de ce miracle : « Ce que vous voyez aujourd’hui – que Dieu guerroie pour vous – ne se reproduira jamais[5]. »
Si les Hébreux étaient restés passifs lorsque les Égyptiens les poursuivaient, ce sont eux qui menèrent le combat contre Amaleq. Dieu n’intervint point ; c’est Moïse qui géra la crise et il la géra seul. Il nomma Josué chef d’état-major, lui donna l’ordre d’enrôler rapidement une armée et de contre-attaquer Amaleq. Le texte raconte :
« Amaleq vint et guerroya contre Israël à Refidim. Moïse ordonna à Josué : choisis des hommes et sors, attaque Amaleq[6]… »
Mais Moïse resta tenté par le miracle. Il expliqua à Josué qu’il se réservait un rôle essentiel, celui d’intervenir auprès de Dieu :
« …moi, je me tiendrai debout sur la colline, le bâton de Dieu dans ma main[7]. »
Il va donc monter au sommet de la colline avec dans sa main le fameux bâton, celui avec lequel il a déjà réalisé tant de prodiges. C’est en levant son bâton qu’il pense assurer la victoire des Hébreux. Mais il ne réussit pas cette mission : ses mains sont lourdes, il n’a même pas la force de les lever. Les commentateurs s’interrogent : comment un homme du niveau de Moïse, un homme qui a fait tant de miracles peut-il être incapable de lever ses mains ? Rachi propose une réponse :
Les mains de Moïse s’étaient alourdies parce qu’il ne s’était pas empressé de faire la mitzva lui-même et qu’il avait nommé quelqu’un à sa place pour mener les combats[8].
Moïse apprend ainsi qu’il aurait dû abandonner toutes ses prières pour diriger personnellement les combats sur le terrain. La guerre sur la terre est l’affaire des hommes, de tous les hommes, et en priorité de ceux qui ont le plus haut niveau spirituel. Dans ce combat, le bâton miraculeux ne contribua pas à la victoire. Il perdit son pouvoir magique. Moïse dont les mains s’étaient alourdies souffrit physiquement. C’est ainsi que Dieu contraignit Moïse à participer avec son corps aux combats de ses soldats. Et lorsqu’il réussissait à tenir ses bras levés, la victoire souriait aux Hébreux qu’il encourageait ainsi.
La guerre contre l’Égypte serait donc l’affaire exclusive de Dieu puisqu’elle avait également comme but de faire connaître la Gloire du Tout Puissant. Celle d’Amaleq l’affaire des Juifs puisqu’elle devait assurer leur défense. Les Sages d’Israël nuancent ces affirmations catégoriques. L’homme ne peut jamais être absent de sa propre libération : si les Enfants d’Israël n’étaient pas obligés de combattre les Égyptiens, ils durent avancer en faisant confiance aveuglément à Dieu. C’est seulement lorsque Na’hchon Ben Aminadav se précipita dans la mer que celle-ci s’ouvrit pour laisser le passage au peuple tout entier. Il sauva l’honneur de l’homme, montrant qu’aucune libération ne pouvait avoir lieu sans l’implication courageuse et volontaire des hommes. D’autre part – expliquent les Sages – Moïse choisit des justes de la dimension de Josué pour combattre Amaleq, car toute guerre a aussi une dimension spirituelle. Le soldat doit savoir quel est le sens de sa lutte. Pour assurer la victoire, la valeur et la motivation des hommes sont aussi importantes que le nombre de soldats et la qualité du matériel. Il faut savoir aussi quelle société l’on voudra fonder une fois la victoire obtenue. La supériorité de l’armée de Josué sur celle d’Amaleq résidait dans la conviction de Josué qui savait parfaitement, qu’après la victoire, il allait s’atteler à une tâche d’éducation du peuple afin que les succès sur le terrain ne soient pas compromis par l’effondrement des valeurs. Pour mettre son projet à exécution, il consacrera les années qui suivirent à étudier dans le beth hamidrach, la maison d’études. La Thora rappelle que Josué ne quittait pas la tente de Moïse[9]. La double dimension de Josué, celle de chef d’état-major et de grand rabbin lui permit de devenir plus tard le digne successeur de Moïse.
Moïse sur la colline représentait déjà cette double mission : par son maintien majestueux, il encourageait ses hommes ; en dirigeant ses mains vers le ciel, il montrait aux soldats le sens du combat.
[1] Exode xiv, 1-4.
[2] Ibid., 4.
[3] Ibid., 14.
[4] Psaume cxlviii, 6.
[5] Exode xiv, 13.
[6] Exode xvii, 8-9.
[7] Ibid., 9.
[8] Rachi s/Exode xvii, 12.
[9] Exode xxxiii, 11.
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko »A la table de Shabbat »
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hesder2@gmail.com
029972023