La Thora consacre de nombreux versets au dénombrement des Enfants d’Israël. Ils sont classés par tribus dont l’ordonnancement aux quatre points cardinaux autour de l’Arche sainte est précisé :
À l’est, Juda entouré d’Issachar et de Zabulon.
Au sud, Réouven, Siméon et Gad.
À l’ouest, Éphraïm, Menaché et Benjamin.
Au nord, Dan, Nephtali et Acher[1].
Le Midrach Rabba[2] a consacré de nombreuses pages pour expliquer le rôle de chacun des groupes et de chacune des tribus. Nous tentons ici de résumer une partie de cet enseignement.
L’est se dit qedem en hébreu, « celui qui est devant ». Juda, qui représente la Monarchie, est effectivement à la tête du peuple juif. David est un de ses descendants. Au sein d’Israël, le roi a un rôle bien particulier. Il a pour mission d’y établir l’autorité du Dieu Un, Sa royauté. Il détient le pouvoir qu’il met au service de Celui qui le lui a octroyé. Issachar, lui, étudie et enseigne la Thora. Sa place, à côté de Juda, est le symbole de la véritable mission de Juda. Issachar est donc le guide spirituel du roi qui, lui, détient le pouvoir temporel. De plus, il permet à Juda de réussir. En effet, les maîtres et rabbins sont les relais indispensables pour que les décisions prises au plus haut échelon de la hiérarchie soient acceptées par le peuple. Zabulon est le frère inséparable d’Issachar. C’est un grand commerçant. Ses revenus, il les partage avec Issachar pour lui permettre de s’adonner à sa tâche d’éducation. À côté du roi, il est l’intendant qui, par son sens des affaires, permet de donner les moyens à Issachar de réussir. Juda a donc comme souci de gérer les ressources économiques produites par Zabulon de telle façon que l’éducation prise en charge par Issachar puisse être prioritaire.
Le soleil doit briller pour tout le monde. Au sud, nous trouvons les trois tribus qui se soucient en priorité du sort d’autrui. Reouven a montré la voie en sauvant Joseph de la mort que lui réservaient ses frères. Siméon n’accepte pas l’immoralité. Lorsque sa sœur sera profanée par Che’hem, il ne recule devant rien pour laver l’affront dont elle a été victime. Gad se distingue par sa vaillance. Il se lancera à la tête des combattants pour la conquête d’Eretz Israël.
Selon la tradition, l’ouest est le lieu de la Présence divine (Chékhina). En effet, au Temple de Jérusalem, on pénétrait par l’est et au fond, dans l’endroit le plus discret, se trouvait le Saint des Saints, siège de la Présence divine. On n’accède pas à Dieu immédiatement. Une longue démarche et une préparation sérieuse sont nécessaires. Mais pourquoi donc les tribus d’Éphraïm, Menaché et Benjamin représentent-elles la Chékhina ? Certes, le Tabernacle séjourna longtemps à Chilo qui se trouvait sur le territoire d’Éphraïm et le Temple de Jérusalem se trouvait dans le territoire de Benjamin. Mais ces trois tribus étaient loin d’incarner la piété. Le Midrach explique que ces tribus représentent le peuple, Éphraïm dans sa dimension nationale, Menaché par son attachement à la terre et Benjamin par sa recherche de la concorde. C’est Joseph, père d’Éphraïm et de Menaché, qui sauva le peuple en gestation en nourrissant toute la famille de Jacob. C’est Josué, descendant d’Éphraïm qui partagea le pays entre les tribus après l’avoir conduit à la conquête. Menaché est remarqué par son attachement à la terre d’Israël. Il demanda et reçut un héritage des deux côtés du Jourdain. Les filles de Tzélof‘had, son arrière-petit-fils, montrent que cet amour était partagé par tous les descendants de sa tribu. Elles n’hésitèrent pas à s’adresser à Moïse pour que la part d’Eretz Israël qui devait revenir à leur père décédé sans héritier mâle, ne soit pas perdue. Quant à Benjamin, c’est celui qui symbolise l’unité des Enfants d’Israël. C’est par son intermédiaire que l’entente revint dans le foyer de Jacob. Son descendant, Saül, fut le premier roi qui unifia le pays si morcelé durant la période des Juges. La Chékhina, la Présence divine ne se manifeste que pour le peuple dans son ensemble. Ce sont ceux qui ont compris l’importance de la collectivité d’Israël qui méritent d’être choisis pour « accueillir » le siège de la Présence divine.
Dan est la tribu qui a le rôle le moins glorieux. On dit que l’idolâtrie s’était implantée d’abord sur son territoire par le roi Jéroboam. Il existe pourtant une figure illustre qui nous permettra de mieux comprendre l’apport positif de Dan : le juge Samson, qui délivra Israël contre son gré. Destiné à être nazir avant même sa naissance, il est saint sans l’avoir choisi. En ce sens, il représente le peuple d’Israël qui a pour devoir la sainteté, devoir auquel il ne peut échapper. Samson, non seulement ne prend pas la mesure de la sainteté attachée à la condition de nazir – celui qui fait vœu de s’abstenir de boire du vin, qui s’engage à ne pas toucher à sa chevelure –, mais en outre, il convoite des femmes étrangères, des Philistines. Trompé par elles, dans sa colère, il vainquit les Philistins et délivra ainsi son peuple de l’oppression. C’est en mourant qu’il leur portera le coup le plus dangereux. Samson nous permet de comprendre que rien ne peut empêcher la délivrance d’Israël. Il est placé au nord, endroit apparemment dépourvu de lumière. Si la délivrance se manifeste malgré tout, c’est qu’elle a une force, cachée, certes, mais extrêmement puissante. Cette délivrance prend sa source dans les deux valeurs représentées respectivement par Acher et Naftali. Acher est le symbole de l’élection d’Israël, Naftali, celui de l’attachement aux patriarches. En effet si la délivrance est certaine, c’est pour deux raisons : l’Alliance que Dieu a contractée avec son peuple en le choisissant d’entre toutes les nations et la promesse qu’Il a faite aux patriarches.
Chacune de ces tribus porte donc une des valeurs du judaïsme. Lorsqu’elles sont considérées comme exclusives, des tensions se créent, des forces centrifuges prennent le dessus et la cohésion de la nation est menacée. Le rôle des cohanim, placés au centre du peuple auprès de l’Arche sainte, était d’unifier toutes ces valeurs : « Sois un disciple d’Aharon, aime la paix, poursuis-la et ainsi rapproche le peuple de la Thora[3]. »
[1] Bamidbar ii.
[2] Bamidbar Rabba 2, 10 ; 13, 14 à 20 ; 14, 1 à 11.
[3] Pirqé Avot 1, 12.
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko »A la table de Shabbat »
Pour se procurer l’ouvrage:
hesder2@gmail.com
029972023
Merci !