Pourquoi Bile‘am nous a-t-il fait peur ? Ses malédictions auraient-elles pu avoir un effet sans l’accord – au moins tacite – de Dieu ?
Rachi raconte ce qui a amené, Balaq, roi de Moav, à faire appel à Bile‘am. Balaq avait constaté que le pouvoir d’Israël ne provenait pas du nombre de ses divisions. Si la victoire lui souriait, c’est qu’il savait prier son Créateur. « Sa force est dans sa bouche » disait-il ; je vais donc faire appel à un prophète dont la force se trouve également dans sa bouche. Il avait compris le pouvoir des mots. Déjà, à son époque, il savait que la propagande était capable de transformer les réalités. Les chauds discours peuvent galvaniser les cœurs et les accusations perfides semer le doute.
Le Talmud[1] déclare :.
Les « bénédictions » de Bile‘am révèlent ses intentions véritables.,
Les trois prophéties de Bile‘am décrivent chacune un des aspects qui caractérise Israël et que Bile‘am voulait détruire.
C’est d’abord le lien d’Israël avec ses ancêtres que le prophète des Nations perçoit[2] :
« Je le vois, il prend appui sur des rocs (allusion aux patriarches), je l’aperçois installé sur des collines (allusion aux matriarches). »
Leur élection, c’est à leurs pères qu’ils le doivent.
Bile‘am savait que, pour attaquer Israël, c’est ce lien qu’il fallait briser.
Puis Bile‘am voit les Hébreux, dans le désert, liés à Dieu par des liens d’amour[3] :
« Il ne voit nulle faute en Israël… Hachem est le Dieu d’Israël, Son amitié de Roi Il lui manifeste. »
Déjudaïser les Juifs, voilà la deuxième tentative – heureusement avortée – de Bile‘am. Puis Bile‘am saisit que le peuple juif a une maison ; il entrevoit l’avenir lorsqu’Israël aura traversé le Jourdain et qu’il sera installé dans son pays autour du Temple qui sera sa capitale[4] :
« Quelles sont belles tes tentes, Jacob, tes demeures Israël. »
Il voulait en outre couper les liens qui lient ce peuple à sa terre. Aujourd’hui encore, nous devons nous méfier des faux prophètes de notre temps. Lorsque le peuple juif veut admettre en son sein ceux qui ne sont pas des descendants de Jacob ou qui n’en sont pas devenus par les règles de Dieu, c’est une première victoire pour Bile‘am.
Lorsqu’on discute et se dispute sur le point de savoir si notre État n’a de juif que le nom ou s’il doit également être porteur d’un certain nombre de valeurs et de symboles même si cela doit amener quelques désagréments dans la vie quotidienne, c’est toujours la malédiction de Bile‘am.
Et lorsque, mettant à nu le caractère distendu de nos liens avec notre terre, des Juifs, toujours trop nombreux si peu soient-ils, sont disposés à renoncer à tel ou tel « territoire » – Bile‘am, de sa tombe, lance des cris de joie.
Mais il ne tient qu’à nous de transformer une fois encore ces malédictions en bénédictions.
[1] Sanhédrin 105a.
[2] Nombres xxiii, 9.
[3] Ibid., 21.
[4] Nombres xxiv, 5.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko