Daniel Gal
Ancien ambassadeur
Notre regretté maître le professeur Benno Gross, z”l, avec une pointe d’humour qui lui était tellement caractéristique, aimait nous dire : « encore cette semaine regardez combien la parasha répond aux grands évènements et questions actuels ». Le peuple juif et Israël depuis sa souveraineté retrouvée ont démontré constamment un très haut degré de responsabilité envers les autres peuples. Pour ne citer que quelques exemples, je mentionnerai ce que fait Mashav, le département de coopération internationale du ministère des Affaires étrangères qui depuis les années cinquante, alors que les moyens de l’État étaient très réduits a apporté une aide importante d’assistance technique dans des domaines variés : agriculture, médecine, éducation, etc. à la plupart des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
La semaine dernière ENCORE une délégation est revenue du Kazhastan : des médecins israéliens ont effectué une mission médicale et ont réussi à redonner la vue à de nombreux patients touchés par une cécité presque totale ou encore l’assistance médicale précieuse et les soins que nous avons apporté à un millier de blessés dans le conflit syrien, sans oublier les missions de sauvetage dans des pays touchés par des calamités de la nature : Népal, Japon, Haïti, Turquie pour n’en citer que quelques-uns. Mais il est bon de rappeler quelques enseignements talmudiques, et en particulier celui qui demande de placer en priorité les besoins des « pauvres de sa cité » donc cette responsabilité doit ÊTRE d’abord envers son peuple. Par exemple, si les responsables de notre pays élus démocratiquement pensent qu’il ne faut pas aujourd’hui accueillir ces réfugiés qui envahissent pratiquement l’Europe car cela pourrait porter préjudice à notre pays, il faut comprendre cette décision dans le sens de la responsabilité qui place en priorité notre peuple.
Emmanuel Bloch
Avocat. Spécialiste de pensée juive
L’intuition géniale du monothéisme aura été d’affirmer que des phénomènes très disparates partagent une origine commune : Dieu, si c’est le monde que l’on considère : Adam et Eve, le couple originel, si c’est l’humanité. Ce point de départ identique implique, au moins partiellement, une communauté de destin : tout être humain, du simple fait de sa condition humaine, fait partie intégrante de ma propre tribu. Je suis responsable de son bien-être tout comme il l’est du mien. À cette obligation intrafamiliale s’ajoute, pour le peuple juif spécifiquement, un autre niveau de responsabilité, cette fois de nature historique. Originaires d’Algérie ou de Pologne, du Liban ou d’Éthiopie, nous Juifs avons été des réfugiés perpétuels et des étrangers permanents. La Torah nous enjoint spécifiquement de nous souvenir que nous avons été des étrangers en Égypte et de prendre soin de ceux que les vicissitudes de l’époque ont estropié. Cette obligation est-elle infinie ? Ne serait-ce qu’aujourd’hui, je voudrais répondre oui. Demain, la réalité se chargera bien de raboter nos ambitions ; demain, nous rappellerons déjà cet enseignement du philosophe Isaiah Berlin, lequel voyait les idéaux comme contradictoires entre eux et réalisables seulement de façon partielle. Mais, en cette période où nous affirmons la royauté de Dieu sur toutes Ses créatures, il est important de ressentir, même fugitivement, le poids entier de cette responsabilité morale.
Jacquot Grunewald
Rabbin. Écrivain
La responsabilité du peuple juif et de chacun envers autrui nous est enseignée par le prophète Isaïe au chapitre 58 qui, précisément, nous sert de Haphtara à Yom Kippour. Il le fait en réponse à ceux qui, jeûnant, priant, s’imposant une, puis une autre et encore une mortification de plus !, s’étonnent de ne pas être félicités par Dieu – qui lui ordonne : « Crie à pleine gorge, n’épargne rien ! Élève ta voix comme un shofar, expose à mon peuple ses fautes… Jour après jour ils me consultent, ils souhaitent connaître mes voies ! Comme un peuple qui agirait avec justice, qui n’aurait jamais abandonné la loi de son Dieu ». Et d’interroger : « Est-ce là un jeûne que je pourrais approuver ? Quand l’homme mortifie sa personne, courbant sa tête comme un roseau, étalant le sac et la cendre ? Est-ce cela que tu appelles un jeûne, un jour que voudrait L’Eternel ? Non ! Voici le jeûne que j’aime : rompre les chaînes de l’injustice, dénouer les attaches de tout carcan, renvoyer libres les opprimés et défaire toute entrave… Partager ton pain avec l’affamé, amener dans ta maison les humiliés et les paumés… Quand tu vois qui est nu – le couvrir, ne pas te dérober devant ta propre chair ». Et le prophète de conclure : « Si tu bannis de chez toi toute oppression, le geste violent et la parole de fraude, si tu te prives toi-même pour l’affamé et que tu apaises qui est torturé, alors ta lumière brillera dans les ténèbres et ton obscurcissement comme le plein midi ».
Alain Michel
Directeur des Éditions Elkana
On entend souvent dans certains milieux juifs que l’important est le sort du peuple juif, et que peu importe finalement ce que pensent ou ce que font les nations du monde. On cite souvent à l’appui de cette opinion la prophétie de Balak « Hen am levadad yishkone, ouvagoyimm lo yitchashev » (Nb, 23, 9). En réalité il s’agit d’un contre-sens complet. « Ils sont un peuple qui réside solitaire, et il ne se comptera pas parmi les peuples » montre que l’idéal d’Israël est d’être à part, d’être différent. Mais en quoi ? Pour quoi faire ? Dieu nous l’a indiqué au moment de la révélation du Sinaï ! « Et vous serez pour moi un royaume de prêtres et un peuple saint (kadosh – à part) ». Les cohanim n’avaient-ils aucun lien avec le peuple d’Israël et lorsque le Grand Prêtre pénétrait dans le Kodesh Hakedoshim est-ce qu’il n’intercédait pas pour l’ensemble d’Israël ? De même, cette mise à part du peuple d’Israël, particulièrement lorsqu’il est réuni sur sa terre, lui donne une responsabilité écrasante vis-à-vis du reste de l’humanité, d’abord et avant tout sur le plan moral. Cette responsabilité n’a qu’une seule limite, celle de sa propre existence, afin qu’il continue à être source de bénédiction pour l’ensemble des peuples, comme Dieu l’a annoncé à Abraham, tout au début de notre histoire.