FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le 6 juin les Forces Démocratiques Syriennes soutenues par la coalition américaine, sont entrées dans Raqqa défendue par Daech. Spécialiste des questions internationales, Hadrien DESUIN décrypte le déclin de l’État islamique à Raqqa. Par Eloi Thiboud
Spécialiste des questions internationales et de défense, Hadrien Desuin est essayiste. Il vient de publier La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (éd. du Cerf, 2017).
FIGAROVOX. – Les forces arabes et kurdes, soutenues par les Américains, ont engagé l’offensive contre l’EI à Raqqa et sont entrées dans l’est de la ville le 6 juin. Que représente Raqqa pour l’EI aujourd’hui? La reconquête de Raqqa signifie-t-elle la chute de l’État Islamique?
D’un point de vue strictement territorial, «l’État islamique» n’existe plus. Les liaisons sont très compliquées entre la Syrie et l’Irak. Il ne reste que des grosses poches de résistances, incapables de se coordonner entre elles. Plus aucune zone n’est sûre. Ces dernières vont persister encore longtemps car elles sont tenues par des fanatiques prêts à mourir plutôt que de se rendre. Dans certains quartiers très urbanisés, les petites équipes de snipers ou de tireur RPG peuvent considérablement ralentir la progression d’une troupe entraînée. Il faut 10 assaillants pour un défenseur à moins de raser la ville. Il s’agit toutefois d’un combat d’arrière-garde. Depuis que les contre-offensives des coalitions américaines et russes ont commencé, l’EI est revenu au modèle plus classique d’Al Qaïda: internationalisation du terrorisme et guérillas franchisées dans tout le monde musulman. N’oublions pas que Daech n’est au départ qu’une dissidence d’Al Qaïda en Irak et au Levant.
L’idéologie de Daech, et du djihadisme en général, ne peut pas vivre en dehors de la conquête. Dès qu’elle fut arrêtée aux portes de Bagdad, à Palmyre et dans Kobané, Daech a dû se réinventer pour survivre et maintenir sa folle cavalcade meurtrière.
Quels sont les intérêts des États-Unis à Raqqa?
Les États-Unis ont voulu prendre Raqqa avant les Russes, les Iraniens et l’armée syrienne. Quitte à se fâcher avec les Turcs qui redoutent par-dessus tout l’extension du Kurdistan syrien. La prise de Raqqa marquera symboliquement la défaite de Daech en Syrie et donc la victoire de la coalition américaine. Pour Donald Trump, l’enjeu est d’importance après des années d’extrême prudence de la part de Barack Obama sur ce dossier. D’un point de vue géopolitique, la coalition irano-russe serait contrainte de laisser la vallée de l’Euphrate aux alliés des Américains. Il s’agit de confiner le plus possible la Russie et l’Iran qui sont toujours vus à Washington comme les principaux adversaires de l’Amérique à l’échelle du monde.
Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) soignent malgré tout leurs relations avec les Russes et donc avec le régime syrien car ils doivent se coordonner avec eux dans la poche d’Afrin, coupée du cœur du Rojava qui va de Kobané à Hassaké. En prenant Raqqa, les Américains veulent aussi rassurer l’Arabie Saoudite, le grand allié de Donald Trump: la Syrie de l’Est ne tombera pas dans l’escarcelle chiite. Cette vision saoudienne et confessionnelle est quelque peu caricaturale car le régime de Bachar a toujours su composer avec les populations sunnites dans le passé. En faire une secte arc-boutée sur un clan alaouite est très simpliste. La Syrie des années 2000 savait aussi jouer des rivalités entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Qui tiendra la ville après le départ des djihadistes?
Source: Figarovox
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