“La vie de Sarah fut de cent ans, vingt ans et sept ans; telle fut la durée de sa vie”. Et comme pour souligner le lien, entre la bonté infinie de cette femme et celle d’Avraham ainsi que de celle d’Yshmaël, voilà qu’il est écrit à la fin de notre paracha: “Le nombre des années que vécut Avraham fut de cent ans, soixante-dix ans et cinq ans”, et “Le nombre des années de la vie d’Yshmaël fut de cent ans, trente ans et sept ans […]”. Les sages nous apprennent que le premier mot de la paracha : ויהיו, a une valeur numérique de 37, les années de vie que Sarah vécues depuis la naissance de Its’hak jusqu’à son départ, car ce fut sa “vraie” vie.
Notre paracha fait allusion au ‘Hessed, celui d’Avraham sans limite, celui de Sarah mêlé de réflexion et de prophétie, et enfin le “faux” ‘Hessed d’Yshmaël : celui des forces du mal. A ce sujet il est écrit : “Ne regarde pas les choses négativement au sujet de cet enfant et de ta servante ; car tout ce que Sarah te dit, obéis à sa voix : car c’est dans Its’hak que se trouvera ta descendance”.
La Torah, nous rapporte nombres d’exemples où mari et femme sont en désaccord, et ce, sur des points essentiels. Ce verset constitue le seul et unique exemple où D-ieu s’immisce dans le couple, prend parti pour l’un des conjoints. On pourrait opposer qu’ici il s’agit de déterminer qui va être la continuation spirituelle d’Avraham, donc du peuple d’Israël, pourtant cette problématique s’est posée entre Its’hak et Rivkah, lorsque celle-ci ordonna à son fils Yaacov de prendre les bénédictions revenant à son frère Essav, ce désaccord-là était plus problématique, plus profond, du fait que seule la mère décide lequel de ses deux fils sera apte à être la continuation de son père. Et pourtant D-ieu n’intervient pas pour valider le choix de Rivkah, alors que concernant Avraham et Sarah, D-ieu prend position.
Seconde remarque, D-ieu aurait pu dire à Avraham, “fais ce que Sarah te dit” ou “obéis à Sarah” tout comme tu as obéi quand elle t’a demandé de prendre Hagar pour concubine! Que veut nous dire la Torah par l’emploi de l’expression “obéis à sa voix” ?
Sur quoi porte le désaccord entre Avraham et Sarah ? Pour quelle raison D-ieu intervient ? Sarah perçoit-elle quelque chose de plus qu’Avraham ?
Yshmaël signifie “D-ieu l’a entendu”. En hébreu, le nom א”ל el, symbolise le ‘hessed. Dans notre cas, le ‘hessed associé à l’ouïe, dans la gvoura. Donc le nom Yshmaël est trompeur, portant en lui un paradoxe, du fait que le ‘hessed, par essence illimité, se trouve lié à l’ouïe qui, à l’inverse de la vue, est limitée, quant à sa portée, en effet l’ouïe ne peut entendre qu’un son à la fois, donc gvoura, alors que la vue peut saisir une multitude de détails.
Nous voilà donc en présence d’un paradoxe, le nom de D-ieu symbolisant le ‘hessed, par définition illimité, est associé à l’ouïe symbolisant la gvoura. Le second fils d’Avraham, Its’hak est dans la gvoura associée à la kedousha. Le verset annonçant à Avraham que sa descendance, sa continuation, sera assurée “dans Its’hak” et non pas par Its’hak, signifie, que seule la descendance de Its’hak qui se situera dans la kedoucha, sera considérée comme la continuation d’Avraham. De là, nous apprenons la supériorité de Sarah dans la prophétie par rapport à Avraham.
Avraham est persuadé que sa continuation sera assurée par Yshmaël, ils se ressemblent tellement, en apparence.
Le verset qui nous l’enseigne se compose de deux éléments que l’on pourrait analyser comme des ruptures linguistiques : “car tout ce que Sarah te dit, obéis à sa voix, car c’est dans Its’hak que se trouvera ta descendance”
D-ieu demande à Avraham d’écouter sa voix, mais au préalable il l’enjoint de réaliser tout ce que dira Sarah, de deux choses l’une, soit Avraham écoute ce que Sarah lui dit, soit il obéit à sa voix.
Quelle différence entre parole et voix ?
La parole est l’élément révélateur de la pensée, le moyen de communiquer, d’établir un contact par des mots exprimant une idée, un savoir, un avis, d’extérioriser l’intime.
La voix, quant à elle, est un son pur, oui un son, ainsi à Rosh Hashana nous disons la bénédiction suivante avant de sonner du Choffar “béni sois-Tu Eternel notre D-ieu qui nous a sanctifiés par ses commandements et nous a ordonné d’entendre la voix (le son) du chofar”.
Donc tout ce que dit Sarah revient à écouter sa voix, car cette voix est plus haute, plus profonde que l’idée émise, elle est un son, une voix “Divine”, révélatrice de la prophétie qu’elle doit transmettre à son époux concernant l’avenir et le devenir du peuple d’Israël, d’ailleurs la fin du verset nous le confirme “car c’est dans Its’hak que se trouvera ta descendance”. Dans Its’hak et non tout Its’hak, excluant par allusion, Essav.
La même problématique se retrouve avec Its’hak et Rivkah, à savoir lequel de leurs deux fils est apte à assurer la continuation. En effet, Essav ressemble à Its’hak, il possède au demeurant une puissance et une force spirituelle peut-être supérieure à celle de Yaakov, mais cela n’est pas suffisant, Essav est dans la ligne droite de son père, dans la gvoura, mais celle-ci, à l’exemple d’Avraham avec Yshmaël, est, elle aussi, dans le mauvais côté : celle des forces du mal.
Seule la clairvoyance de Rivkah permettra de pérenniser le peuple d’Israël lorsqu’elle enverra son fils prendre la bénédiction d’Its’hak. Et là l’incroyable va se produire : Its’hak, maintenant aveugle, va bénir Yaakov en disant “la voix est celle de Yaakov, et les mains sont celles d’Essav”. Cette phrase qui rappelle étrangement notre verset, dans lequel D-ieu dit à Avraham, “obéis à sa voix”. Cette voix qui n’est autre que celle de la Torah, celle de la prophétie, du rapport profond du peuple d’Israël à son créateur. La voix de Yaacov est comparable à celle de Sarah, pas la parole mais la voix, comme celle du chofar sans ambiguïté, sans note, sans couleur, une prophétie d’une pureté sans pareille, comme chez Sarah, “écoute sa voix” !
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