L’histoire de l’alya de Laurent Simon et Rivka Goldenberg aurait pu être la même que celle de beaucoup d’autres Juifs de France qui ont franchi le pas. Ils vivaient très confortablement, avaient construit une vie équilibrée et élevaient dans la joie leurs trois enfants. Ils ont choisi de s’installer en Israël avec toute Les satisfactions mais aussi toutes les difficultés que cela comporte. Puis leur vie, ici, a pris un tournant inattendu avec la naissance de leur quatrième enfant, Itshak Israël, il y a huit ans.
De la joie à l’angoisse
« Nous voulions un quatrième enfant depuis plusieurs années », confie le couple. Alors que les trois premiers étaient arrivés facilement, le petit dernier s’est fait attendre. »Il faut croire qu’il ne pouvait pas naitre en France ». C’est donc après une année de vie en Israël que Rivka tombe enceinte. La nouvelle fait la joie de toute la famille.
Rivka est alors âgé de 40 ans, mais ne se pose aucune question concernant une éventuelle grossesse à risque. »De toute façon, il faut savoir que statistiquement, 50% des enfants trisomiques naissent chez des couples qui ont entre 20 et 30 ans ».
À la joie de cette future naissance fera rapidement place doutes et angoisses. »A trois mois de grossesse, j’ai fait une prise de sang en France », se souvient Rivka. J’ai reçu les résultats par la poste, en Israël. J’étais seule quand j’ai ouvert l’enveloppe et que j’ai vu qu’un des indicateurs montrait une certaine anomalie ». Mais le couple décide de ne pas s’en inquiéter.
Laurent Simon poursuit : »A la première échographie, on nous dit qu’apparemment tout va bien, mais comme mon épouse avait 41 ans, on nous a conseillé d’aller faire une échographie du cœur du bébé. Je me souviendrai toute ma vie de la personne qui nous a reçus : un vieux russe, qui utilisait une machine qui me paraissait dépassée. Il procède à l’examen et nous demande si nous avons des trisomiques dans nos familles. Il avait trouvé une malformation cardiaque typique. Nous nous sommes regardés avec Rivka, nous ne comprenions pas. Lorsque nous sommes sortis, j’ai rassuré ma femme en lui disant que l’examen avait été fait avec du matériel certainement obsolète ».
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Le couple veut un autre avis et se rend chez un spécialiste à Hadassah. Le diagnostic est confirmé. Le médecin leur conseille alors avec un manque de tact blessant de procéder à une amniocentèse. Le problème c’est qu’à ce stade de la grossesse, l’examen est risqué puisqu’il peut entrainer une fausse couche. Laurent Simon et sa femme hésitent. Après tout, d’après les médecins, le risque de trisomie n’est que de 50% alors pourquoi risquer la vie de leur bébé ? Mais une chose leur parait claire : ils ne seront pas capables d’élever un enfant trisomique. Et pourtant, Rivka l’annonce d’emblée, elle n’avortera pas. »J’ai effectué une techouva, il y a 13 ans. Il était pour moi impossible d’envisager l’avortement. Ce retour à la foi m’a permis d’aborder ma grossesse avec beaucoup de sérénité ».
Pour Laurent Simon, c’est l’angoisse. Il passe des nuits à s’informer sur Internet. À chaque visite médicale, la seule question qu’il pose est : »Et la trisomie ? ».
Après une tentative non aboutie d’obtenir un rendez-vous pour une amniocentèse, Rivka prend une décision : elle stoppe tous les examens, de toute façon ce bébé, elle le gardera, quoi qu’il arrive.
»Je lui ai cherché une famille d’adoption »
Les mois suivants, l’angoisse et le doute s’emparent du couple, en particulier du futur père. Ils ne savent toujours pas avec certitude si leur enfant sera trisomique. Un mois avant l’accouchement, Rivka veut aller consulter un professeur cardiologue pour enfants afin d’avoir plus de certitudes. Le couperet tombe : il y a 80% de risques pour que leur enfant soit trisomique. Mais difficile d’y croire avant d’avoir vu le bébé.
Le jour de l’accouchement arrive. Peu à peu, la salle d’accouchement se remplit de personnel médical et psychologique. »Quand j’ai vu sa tête », se remémore Laurent Simon, »je l’ai trouvé mignon, mais j’ai tout de suite compris qu’il était bien trisomique ». Rivka n’aura même pas le plaisir de prendre son nouveau-né dans les bras, il aura besoin de soins et on le transportera tout de suite. Le premier qui le prendra dans ses bras est l’aîné de la famille, Ruben, qui avait alors 17 ans. Lui qui est un garçon fort, pleurait et ses premiers mots ont été pour son père : »Papa, tu sais il est mignon quand même ».
Les trois jours qui suivent ont été très agités. »J’ai complètement disjoncté », reconnait Laurent Simon, »J’ai contacté une amie avocate et je lui ai demandé de trouver une famille d’adoption pour le bébé, que je ne me sentais pas capable d’élever ».
Deux familles viennent leur rendre visite à l’hôpital dans ce but. Rivka, elle, décide de ne pas intervenir dans la décision de son mari. »Pour moi, il était clair que je garderais mon bébé, mais je ne voulais pas imposer cette décision à mon mari, je voulais qu’elle vienne de lui. Pendant les deux jours qui ont suivi mon accouchement, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et je faisais semblant que tout allait bien devant l’assistante sociale et les familles venues pour adopter mon enfant ». De son côté Laurent Simon est enfoncé dans sa détresse et constate simplement que sa femme »s’enferme dans le silence ».
Une situation déchirante qu’atténue la qualité des personnes candidates à l’adoption. Un jeune couple qui ne pouvait pas avoir d’enfant et un couple de 50 ans, parents de 3 enfants.
Le premier électrochoc pour Laurent Simon sera la découverte du prénom du monsieur qui était prêt à adopter le bébé : il s’appelait Laurent Simon, exactement comme lui. »J’y ai vu un signe de Dieu ».
« Je cherche la mère »
A la grande surprise du couple, au bout de 48h seulement, la mère et le bébé sont autorisés à sortir de l’hôpital, alors même que le petit devait subir une opération du cœur. »Quand ma femme m’a appelé pour me dire qu’elle sortait, je ne pensais pas que le bébé aussi serait libéré. Le couple qui devait l’adopter avait très peu de moyens et ne pouvait pas l’accueillir tout de suite ». Pendant tout le chemin vers l’hôpital, Laurent Simon pleure, il se demande comment peut-il amener un bébé chez lui puis l’enlever de sa maison, de ses frères et sœurs, quelques jours plus tard seulement.
« Dans la voiture vers la maison, mon mari me dit : »On va le garder jusqu’à la brit mila ». Pour Rivka, c’est un soulagement, une petite victoire, elle se dit qu’une fois que son fils fera partie de la maison pour quelques jours, il y restera pour toujours.
A leur retour, le Rav Brand, avec qui Laurent Simon étudiait l’appelle et insiste, il veut venir faire Le’haïm avec lui pour la naissance. »Vous savez Rav, je ne suis pas dans la joie. Le bébé est trisomique ». Mais le Rav insiste et débarque chez les Goldenberg. Il s’assoit avec le maitre de maison et discute avec lui avant de lancer : »Mais je cherche la mère. Que pense-t-elle de tout ça, est-elle d’accord de donner son enfant ? ».
Deuxième choc pour Laurent Simon. Il s’aperçoit qu’il n’avait même pas pensé à lui demander son avis ! Il était persuadé qu’elle était sur la même longueur d’ondes. Il va trouver sa femme et il comprend qu’elle veut garder son bébé. « Alors tout a changé, nous sommes passés de l’obscurité à la lumière ». Le Rav Brand demande au père de parler le jour de la brit milah et de remercier le Ciel pour ce cadeau.
»En fait, mon mari n’avait écouté que sa raison et non pas son cœur pendant ces quelques jours. C’est un homme hyper sensible. Quand le petit est entré dans la maison, un lien s’est créé et sa présence est devenue une évidence pour tous ».
Une grande âme
La nuit précédant la brit mila, suivant les conseils du Rav, Laurent Simon rédige un discours qui ne laissera personne insensible dans l’assemblée. Il va s’ouvrir, raconter le processus qu’il a passé jusqu’à ce jour, sans rien cacher de ses doutes, de ses faiblesses, avec une sincérité et une sensibilité incroyables. »J’ai été très touchée de ses paroles, j’ai beaucoup pleuré en l’écoutant », se souvient Rivka.
Le petit est nommé Itshak Israël et son sandak n’est autre que le dernier élève encore en vie à l’époque du Hafets Haïm, alors âgé de 102 ans. Personne ne doute de la grandeur de cette nouvelle âme descendue sur terre. »Lorsque je n’arrivais pas à tomber enceinte, je priais Hachem pour qu’Il m’envoie une grande nechama. C’est ce qu’il a fait ».
Le ciment de notre famille
Depuis 8 ans maintenant, le petit Itshak Israël est devenu »le ciment de notre famille ». Il est au centre du foyer, sa relation avec ses frères et sœur est forte. »Il a bouleversé nos vies dans le bon sens du terme », nous décrit le papa, »malgré les difficultés évidentes d’élever un enfant comme lui, il m’enrichit chaque jour, il me ramène à la réalité et m’amuse. Il est si spontané ! ».
»Laurent Simon l’adore », s’émeut Rivka, »il n’entretient pas la même relation avec lui que moi. Je découvre ce qu’est l’éducation d’un tel enfant et je ne réfléchis pas à long terme, je prends les choses telles qu’elles viennent. Chaque enfant trisomique est différent. Je me souviens des paroles d’un Rav venu parler à Shalva, l’institut dans lequel il était jusqu’à ses 6 ans. Il était très petit de taille, son message m’a marquée : ce que vous pensez de vos enfants, c’est ce qu’ils deviendront ».
Aujourd’hui, Itshak Israël parle peu, mais il progresse. »Avec lui, nous comprenons comment chaque acquis qui peut nous paraitre évident est le fruit d’un travail intense ». Mais ce petit garçon est aujourd’hui indépendant et déterminé, aux dires de ses parents. »Il aime dessiner, jouer au foot, d’ailleurs il vise très bien, malgré ses problèmes de vue ».
« Je me suis toujours demandé pourquoi j’avais fait mon alya. On avait une vie très confortable en France. Je n’étais pas un très grand sioniste. J’ai la réponse maintenant : c’était pour Itshak Israël », conclut Laurent Simon.
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