La joie du mois d’Adar dont le summum sont les journées de Pourim ne peut se concevoir sans chansons et musique. LPH a été à la rencontre du groupe klezmer, Nigun Simha, dirigé par le Rav Benjamin David. Nous avons exploré avec lui le retour à la mode de cette musique qui traverse les siècles.
Le P’tit Hebdo: On vous connait sous le chapeau du Rav. Comment êtes-vous devenu clarinettiste?
Rav Benjamin David: Mon lien avec la clarinette remonte à mon enfance. J’ai grandi dans une petite communauté à Amiens. Pour mes parents, puis pour moi, la clarinette, la musique juive était un des moyens de nous rapprocher de nos traditions et de notre héritage. J’ai été très bercé de musique juive ashkénaze. Quand j’ai fait mon alya à 18 ans, je pensais même que j’en ferais mon métier. Mais l’idée selon laquelle la musique ne pouvait pas être une profession digne de ce nom a eu raison de mon envie. C’est seulement, il y a 4 ou 5 ans, que j’ai repris la clarinette. J’ai retrouvé les sensations mais pour moi si je recommençais c’était sérieusement. J’ai pris un professeur et j’ai commencé à étudier les partitions.
Lph: Comment est né ”Nigun Simha”?
Rav B.D.: Après m’être remis à la clarinette, j’ai découvert un sous-sol à Jérusalem animé par Avrom Bornstein dans lequel tous les samedis soir, on joue de la musique hassidique, klezmer. Ce lieu s’appelle ”Kretschmé” – qui vient de ”Kriyat Shéma” – nom que l’on donnait aux auberges en Europe de l’Est et en Russie dans lesquelles les Juifs faisaient une halte la nuit et récitaient donc le Shéma. Ils y jouaient aussi de la musique et buvaient de la vodka. Ce ”Kretschmé” est devenu un concept, le Rav Carlebach en avait créé un aux Etats-Unis, notamment.
C’est donc dans ce lieu particulier de la capitale que j’ai rencontré les musiciens qui forment mon groupe. D’ailleurs tous les grands musiciens klezmer ont commencé dans ce sous-sol.
Lph: Quel genre de personnes fréquentent ce ”Kretschmé”?
Rav B.D.: On y trouve beaucoup de styles. La musique klezmer est très appréciée d’abord en dehors d’Israël. Les touristes non-Juifs qui viennent au Kretschmé sont très nombreux. Parallèlement, en Israël on note un regain pour la musique de nos parents, grands-parents, voire arrière-grands-parents. Ce qui se jouait il y a un siècle en Europe de l’Est parle à la génération du 21e siècle. Et ce ne sont pas que des religieux qui jouent. Des groupes klezmer totalement laïcs ont émergé et rencontrent un grand succès. Au fameux festival de Tsfat, se sont ajoutés ceux de Raanana, de Revava, de Jérusalem, preuve supplémentaire de la variété de personnes que cette musique parvient à toucher.
Lph: Comment expliquez-vous ce succès?
Rav B.D.: La musique klezmer est une musique juive authentique qui est passée de génération en génération. Elle fait partie de notre héritage. Pour ma part, je pense qu’elle véhicule des messages profonds en lien avec la Torah. Je ne fais pas de la musique pour faire de la musique mais pour propager la Torah. Dans les soirées que nous animons avec mon groupe, nous jouons et nous racontons des histoires hassidiques, qui nous relient avec notre patrimoine spirituel. Chaque peuple, chaque groupe ethnique possède sa musique et elle lui ressemble, elle le caractérise. La musique véhicule un système de pensée, une approche.
La musique klezmer est à la fois gaie et nostalgique. Elle raconte l’histoire du peuple juif: entre exil et retour.
Lph: A l’image du déguisement de Pourim qui cache l’aspect extérieur pour mieux dévoiler l’intérieur, la musique ferait ressortir nos sentiments enfouis?
Rav B.D.: Oui, ce parallèle peut être fait. La musique produit des effets sur toute notre personne: cerveau, cœur, corps et surtout sur notre âme. C’est l’expression même de notre âme. Les midrashim hassidiques nous racontent avec quelle force l’âme peut s’exprimer par la musique, parce que justement, les mots en sont absents. C’est par ce biais que l’on se rattache à D’ieu, comme nous le montre le Chofar, par exemple. Et combien d’histoires n’avons-nous pas entendu sur des personnes éloignées qui se sont rapprochés de la Torah parce qu’un air fredonné par leur mère leur était soudain revenu? C’est ainsi, d’ailleurs, que le Rav Carlebach a ramené plusieurs Juifs: par la musique qui éveille des sentiments oubliés.
Lph: La musique est-elle l’expression de la joie par excellence?
Rav B.D.: En effet, mais pas uniquement. La musique transporte beaucoup d’émotions. On raconte que le Rabbi de Sassov avait organisé le mariage d’un couple pauvre. Le groupe Klezmer qui y jouait l’avait touché par un air interprété alors que le Hatan mettait le voile à la Kala. Il a demandé que cet air soit joué le jour de son enterrement. Le jour venu, le groupe se trouvait par hasard à proximité du cimetière et s’est souvenu de la requête du Rabbi de Sassov. Il est vrai que le deuil est synonyme d’interdiction des instruments de musique. Mais dans notre tradition, dans notre liturgie, les airs chantés expriment à la fois de la joie mais aussi de la nostalgie ou de la tristesse. Et ils comportent une force qu’il est impossible d’ignorer.
Lph: Vous êtes Rabbin et musicien. Où est le déguisement et où est le vrai costume?
Rav B.D.: Je dis toujours qu’il n’y aucune incompatibilité à être Rabbin et musicien. Au contraire, la musique étant l’expression de l’âme, ces deux activités se rejoignent. Ce sont pour moi deux manières complémentaires de transmettre la Torah et de dévoiler son intériorité.
Pour contacter le groupe Nigun Simha pour un événement:
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Légende photo: Nahman Sharvit (accordéon), Rav Benjamin David (clarinette)
où peut-on l’écouter