La plus jeune, Adèle, alors âgée de trois ans, est la plus grièvement atteinte. Elle ne se relèvera jamais de cette attaque. L’enfant reste lourdement handicapée pendant plus de deux ans avant de décéder. Sa mère, Adva, s’est battue pour qu’elle puisse avoir la plus belle vie possible. Depuis sa disparition, elle n’a de cesse d’agir pour éviter que ce drame ne touche d’autres personnes et pour aider ceux qui font face à la perte d’un proche.
Récemment, Adva a vivement interpelé Tamar Zandberg, la chef de file du parti Meretz, au sujet de la peine de mort pour les terroristes. Les débats autour de cette loi sont douloureux car ils touchent des familles endeuillées et à des principes qui la rendent naturelle pour certains et inenvisageable pour d’autres. Adva Biton nous répond sur ce débat et plus largement sur celui de la réponse que nous devons apporter aux terroristes qui sévissent au quotidien.
Le P’tit Hebdo: Voilà trois ans qu’Adèle, z »l, nous a quittés. Comment se sont passées ces dernières années?
Adva Biton: Nous avons toujours eu pour habitude de remercier pour ce que nous avons. Cela est encore plus vrai depuis l’attentat. Depuis nous avons eu le bonheur d’accueillir deux fils. On apprend à vivre avec cette douleur que nous portons 24h/24, 7 jours sur 7. Elle ne disparait pas. Pour moi, le plus important est d’agir. C’est la raison pour laquelle, j’ai fondé l’association Adèle, au sein de laquelle j’apporte, avec l’aide de nombreux bénévoles, un soutien aux familles endeuillées par les attentats ou par les maladies et accidents de la vie.
Lph: Depuis que vous êtes, bien malgré vous, sous le feu des projecteurs, on ne peut que se demander d’où vous tirez la force d’être dans l’action.
A.B.: Cette force vient du fait que pour nous, les Juifs, la vie est la valeur suprême, nous la sanctifions. Je ne veux pas que d’autres familles vivent ce que nous avons vécu. Voilà mon moteur.
Lph: Vous qui observez les événements de près, quelles mesures ont été prises depuis l’attentat dont vous avez été victime, pour éviter justement que des drames similaires ne se produisent?
A.B.: A mon grand désespoir, aucun changement significatif n’est à noter. Les politiques se contentent de slogans, de déclarations populistes, à des fins électorales. Mais concrètement rien n’est fait. Je sais que le peuple n’est pas dupe et comprend bien que les paroles sont vides.
Lph: De ce point de vue, la proposition de loi visant à établir la peine de mort pour les terroristes est une avancée selon vous?
A.B.: Bien entendu, ces terroristes méritent la mort, ceux qui ont du sang sur les mains ne doivent pas s’en sortir. Cette peine doit faire partie des sanctions existantes. Mais il y a tellement à faire avant d’en arriver là! Nos ennemis nous connaissent, ils voient nos faiblesses, ils comprennent que nous ne les punissons pas réellement. Pourquoi ne détruit-on pas systématiquement les maisons? Pourquoi n’expulse-t-on pas les familles des terroristes? Pourquoi bénéficient-ils de si bonnes conditions d’emprisonnement? Ils nous rient au nez!
Les terroristes et leurs familles doivent comprendre qu’ils paieront cher toute attaque contre des Juifs.
Lph: Vous participez aux débats à la Knesset autour de cette loi. Récemment, vous avez vivement réagi aux propos de Tamar Zandberg et même été expulsée de la salle. Que s’est-il passé?
A.B.: Malheureusement, dans notre pays, une partie de la population aborde ce sujet avec une grande ignorance de la situation de départ. Je respecte la démocratie, mais pourquoi doit-on faire participer à de tels débats, des députés de Meretz ou des députés arabes? Leur argument consiste à dire que si l’on fait passer la loi pour la peine de mort, alors les Juifs seront éduqués encore davantage à la haine! Nous éduquons nos enfants à la haine?! Non, c’est tout le contraire. Les terroristes, en revanche oui. Il ne faut pas se tromper de cible. Tamar Zandberg a osé dire que cette loi était imposée par des sociétés écrans qui font les affaires de Binyamin Netanyahou! Je lui ai rétorqué que je n’étais pas une société écran, mais une mère endeuillée et que si c’était son enfant qui avait été assassiné, elle réagirait peut-être autrement.
Lph: Certains ministres et députés du Likoud, comme Youval Steinitz, s’opposent eux aussi à cette loi. Les comprenez-vous?
A.B.: Ces personnes avancent des raisons de moralité, d’humanité. Je sais que la peine de mort est un sujet complexe, c’est pourquoi j’insiste sur toute la palette de solutions dissuasives dont nous ne nous servons pas, avant d’arriver à la peine capitale.
Je suis consciente aussi du fait que ma vision des choses est influencée par mon histoire personnelle. Je l’ai vécu dans ma chair, je le vis au jour le jour. Cette plaie est toujours à vif, elle s’ouvre à chaque attentat. Je souhaiterais que nous prenions conscience que nous pouvons et devons nous défendre. Pour y parvenir, nous devons signifier clairement à nos ennemis qu’ils sont perdants lorsqu’ils nous attaquent et ne pas penser sans cesse à ce que le monde va dire. Le monde ne sait pas dans quelle réalité nous vivons. Une pierre lancée sur une route est équivalente à une arme.
Lph: Avec le gouvernement le plus à droite que notre pays n’ait jamais connu, sentez-vous les choses bouger dans le bon sens?
A.B.: Je ressens surtout de la faiblesse. Le gouvernement est défini de droite mais il n’agit pas comme un gouvernement de droite. Je suis déçue. Chacun tire la couverture à soi, il n’y a pas de pilote à bord. Aucun ne prend ses responsabilités et ne se conduit comme un vrai leader. Quand un drame se produit, tout le monde vient présenter ses condoléances lors de la shiva, mais après, on se retrouve tout seul.
Lph: Vous brûlez d’envie de faire changer cette réalité. Vous agissez beaucoup à votre niveau, avez-vous songé à vous lancer en politique?
A.B.: Oui, j’y pense. J’ai reçu beaucoup de propositions. Mais je sais que le monde politique n’est pas propre. Je tiens à rester fidèle à mes convictions et mes projets. Je ne veux pas me retrouver dans une situation où je ne ferai que parler, sans pouvoir agir. Les gens en ont marre des paroles, ils veulent des changements. Donc, tant que je ne serai pas assurée d’avoir une réelle possibilité d’action, je ne rentrerai pas en politique. J’agis, pour l’heure, au niveau associatif.
Lph: Quel est le but de l’association Adèle que vous avez fondée?
A.B.: Il s’agit de donner un soutien affectif à ceux qui ont perdu des êtres chers, notamment de maladie ou dans des accidents. En effet, ces derniers sont encore plus livrés à eux-mêmes face au deuil. L’association leur prodigue des thérapies, organise des événements et porte une oreille attentive à leur détresse. Par ailleurs, nous lançons une caravane qui ira de ville en ville pour se rapprocher encore plus de ces familles. L’association fonctionne depuis trois ans, grâce à quelques 500 bénévoles. Notre budget est entièrement dédié aux activités, et il n’est pas évident de faire face à tous les frais.
Lph: Ce besoin d’action qui vous anime, cette association qui diffuse du bien-être à ceux qui sont en souffrance, est-ce la source de votre consolation?
A.B.: Ma propre thérapie repose sur deux piliers. Le premier est la foi. Si nous n’étions pas croyants, nous serions perdus. Le second est, en effet, d’apporter mon soutien à ceux qui ont vécu la même tragédie. Cela me permet de perpétuer la mémoire d’Adèle, z »l. C’est ce que souhaitent tous ceux qui ont perdu un être cher: qu’il soit, à jamais, dans les cœurs et les esprits.
Pour aller plus loin:
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Photo Nitzi Ilan