Ce que l’on appelle désormais la « vague de violence » qui s’abat sur notre pays a débuté il y a un mois, en pleine fête de Souccot. Depuis l’assassinat du couple Henkin, suivi de celui de Aaron Benitah et du Rav Nehemia Lavi, les attentats sont quotidiens et peuvent toucher n’importe qui, n’importe où. Comment nos enfants, petits et grands, réagissent-ils ? Quel rôle, nous, parents, devons-nous jouer dans un contexte sécuritaire complexe et qui nous angoisse nous-mêmes ? LPH a interrogé deux spécialistes pour tenter d’avoir des pistes d’action et d’échanges avec nos jeunes.
Linda Attali
Psychologue scolaire
Linda Attali a une grande expérience dans le domaine de la psychologie scolaire. Elle travaille auprès de nombreuses structures depuis le gan jusqu’au lycée, donne des conseils aux équipes pédagogiques, aux familles et dirige des thérapies individuelles et de groupe pour jeunes et pour adultes. En outre, elle est spécialisée dans le traitement des victimes d’agressions sexuelles et des jeunes au comportement sexuel agressif.
Le P’tit Hebdo : Dans quelle mesure faut-il exposer les enfants aux informations en ce moment ?
Linda Attali : Il faut, tout d’abord, prendre en compte les capacités de chaque enfant, en fonction de son âge, de son caractère, de ce qu’il a déjà pu traverser dans sa vie. D’une façon générale, il est bon d’éviter d’exposer les enfants aux nouvelles jusqu’à la kita alef. Cela signifie qu’il vaut mieux éteindre la radio, la télévision quand ils sont susceptibles de l’entendre. Lorsque nous écoutons les informations et que nous recevons une mauvaise nouvelle, nous sommes angoissés et si l’enfant se trouve à proximité, il va réceptionner cette angoisse. Donc si on doit ou on veut les informer, il est conseillé de le faire soi-même, après avoir digéré la nouvelle.
LPH : Faut-il, à tout prix, conserver une routine ?
L.A. : Non, si on pense qu’il est nécessaire d’accompagner son enfant à l’école, alors que d’habitude il y va seul, par exemple, il faut le faire. Le message que l’on doit faire passer à ce moment-là ne doit pas être un message d’anxiété mais plutôt de responsabilité. « La réalité du moment nous oblige à être prudents. J’estime qu’il faut que je t’accompagne ». Les enfants ont besoin de savoir que les parents gèrent la situation. Donc on peut mettre de nouvelles limites, qui dureront le temps que le contexte s’améliore, sans exagérer et en restant serein.
LPH : Comment gérer la profusion d’images violentes qui sont à la portée de tous aujourd’hui ?
L.A. : Les parents ont plus de pouvoir qu’ils ne pensent. Ils ont l’autorité pour dire « stop, on éteint » ou « je ne suis pas d’accord que tu regardes cela ». Mais si l’enfant le regarde quand même, il le fera avec dans la tête l’idée que ses parents y sont opposés, ce qui le mettra plus sur ses gardes. Dans l’absolu, il est important d’apprendre aux adolescents d’avoir un esprit critique par rapport aux images qu’on leur montre, qui sont souvent une version modifiée ou tronquée de la réalité. Et surtout, parler avec eux pour voir ce qu’ils ont compris et interprété des images en question.
LPH : Comment voyez-vous la réaction de la jeunesse israélienne face à cette vague de violence ?
L.A. : Je suis très inquiète pour les jeunes qui, dans ce contexte, veulent montrer leurs forces et masquer leur angoisse. Ne voulant pas être les victimes, ils en deviennent agressifs. Je veux mettre en garde chacun sur les conséquences d’un passage à l’acte violent, notamment dans le cadre d’une foule. En effet, quand on agit en groupe, la notion de responsabilité a tendance à se dissoudre dans le groupe. Or, il n’en est rien. Le moment venu chacun répondra individuellement de ses actes. Il faut penser à la mise en jeu de sa responsabilité individuelle lorsque l’on prend part, activement ou non, à une action au sein d’une foule ou d’un groupe. Il est primordial d’en parler avec nos adolescents. Il faut leur dire que nous comprenons leur colère et parfois la haine qu’ils éprouvent. Mais passer à l’acte engage sa responsabilité morale et civile et peut avoir de lourdes conséquences sur sa vie à court et long terme.
LPH : Les enfants israéliens grandissent-ils différemment parce qu’ils vivent dans un pays en état de guerre ? Ont-ils besoin de plus de soutien psychologique ?
L.A. : En ce moment, il est vrai que nous avons plus de travail. Être psychologue dans cette situation n’est pas facile non plus parce que nous vivons les mêmes traumatismes que les personnes que nous aidons. Ceci étant, les enfants israéliens vivent dans un traumatisme latent et continu. Nous n’en sommes pas toujours conscients, cela peut se traduire par une agressivité ou des régressions. Je ne sais pas si les enfants israéliens sont plus solides. J’ai l’impression que c’est ce climat qui pousse un grand nombre de jeunes à partir faire des séjours à l’étranger, prendre l’air.
LPH : Quels sont les points essentiels pour rassurer un enfant qui a peur en ce moment ?
L.A. : Premièrement, l’enfant doit pouvoir exprimer ses peurs. Parfois on pense, à tort, que son angoisse est la même que la nôtre. Donc pour mieux le comprendre, il convient de lui poser des questions larges ouvertes (Comment vas-tu ?). Dans un second temps, nous devons accepter son émotion et ensuite tenter de le calmer en faisant de l’ordre dans ce qu’il ressent et en cherchant avec lui les outils pour surmonter ses angoisses autant que faire se peut. Il sera nécessaire de solliciter une aide extérieure si les symptômes révélant l’angoisse deviennent trop aigus, perturbent anormalement son fonctionnement et persistent sur une longue durée.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Rav Dr Eyal Unger
Directeur du Merkaz Esseguim
Beaucoup de parents demandent quoi dire aux enfants en cette période, et la question est de fait erronée. Ce n’est pas quoi dire aux enfants qui réglera le problème, car de même qu’il n’y a pas de mots ou de phrases plus effrayants que d’autres, de même il n’y a pas de mots ou de phrases qui puissent vraiment calmer plus que d’autres. Il est important de veiller à l’ambiance qui règne à la maison et pas seulement aux paroles qui y sont dites. Il est vrai que les mots ont une influence importante sur l’ambiance familiale mais voyons plutôt comment faire régner une ambiance sereine dans le clan familial.
Beaucoup de parents demandent s’il faut parler aux enfants des problèmes de sécurité si troublants, combien parler même si les enfants eux-mêmes ne montrent pas de symptômes d’anxiété particulière. Et le fait est que même si nous arrivions à censurer les nouvelles de façon à ce qu’elles ne parviennent pas aux oreilles de nos enfants, ceux-ci sont à l’éveil et s’apercevraient très vite que la situation est tendue. Nos enfants seront au fait de la situation de toute façon. Il est donc important que ce soient les parents qui fassent passer le message à leurs enfants, car ce sont eux qui peuvent faire passer le message en donnant le sentiment de sérénité qui s’impose.
Il est également important de prêter l’oreille aux messages et informations qui sont parvenus à nos enfants, même s’ils sont exagérés et même si nos enfants rajoutent de leur propre imagination à ce qu’ils ont entendu. Il est important de ne pas les interrompre lorsqu’ils racontent leur perception de la situation et de leur montrer que bien qu’ils soient exagérés les faits qu’ils nous rapportent nous intéressent vivement. Il ne fait pas leur montrer que l’on n’attache pas d’importance à leurs propos même s’ils sont disproportionnés par rapport à la réalité. Après avoir écouté, il est important de résumer alors les faits de façon concise et de demander alors à l’enfant de s’asseoir près de nous et de leur dire que les faits bien qu’exacts, ne sont pas vraiment tels qu’ils ont été décrits et que la situation somme toute n’est pas si difficile qu’on aurait pu le croire, et que bien qu’effectivement certains évènements se produisent à l’extérieur, on a un peu tendance à amplifier les choses et que la réalité est différente. De plus les évènements nous montrent combien les gens s’entraident grâce à D.
Il est également important de dire aux enfants que les sentiments comme la colère ou la peur sont des choses légitimes et que lorsque quelqu’un a peur, il s’agit d’un sentiment passager. En revanche, si l’enfant essaye de lutter contre sa peur, dans beaucoup de cas le sentiment d’angoisse s’installera chez lui de façon plus durable et pourra entraîner des problèmes de longue durée. Il est donc plus avisé de se laisser aller à ses craintes, celles-ci s’apaiseront plus vite qu’on ne le croit. Il est important de légitimer ces craintes car ce sont des sentiments naturels. Et d’expliquer à l’enfant qu’il s’agit d’un sentiment naturel et donc sain en quelque sorte. Et pourquoi ? Parce que si nous sortons dans la rue sans aucun sens aux alertes, nous pouvons être sujets à des obstacles ou même accidents, et il est donc important d’avoir les sens éveillés, sans pour autant être craintifs.