Vous souvenez-vous des premiers téléviseurs ? Ils étaient longs à se mettre en marche ; on voyait l’image se développer sur l’écran.
Appuyer sur le bouton d’allumage doit faire passer l’intensité électrique de 0 au maximum de façon instantanée, c’est-à-dire faire un saut brusque d’intensité. Cela fait exploser l’appareil. Les ingénieurs ont donc ajouté un dispositif pour que la montée en puissance se fasse de façon continue et rapide. La nature a généralement horreur des sauts brusques, ils sont synonymes de catastrophes comme les tremblements de terre, provoqués par des ruptures de continuité des tensions de la croûte terrestre.
Un phénomène continu est un phénomène descriptible par une courbe que l’on peut tracer en un seul coup de crayon, sans lever la main. La hauteur au-dessus du sol des marches d’un escalier n’est pas décrite par une telle courbe, il y a des « trous » ; la rampe de l’escalier est continue. L’altitude d’un avion en vol est décrite par une courbe continue, même en cas de trou d’air. Une discontinuité de vol est réservée à la science-fiction.
Les marches de l’escalier tournant sont disjointes, les intervalles sont vides. À hauteur intermédiaire, rien. De même, les nombres dits « naturels » forment une suite 0,1,2,3,4,5, …. Entre deux nombres successifs il n’y a rien.
L’humanité s’est rapidement rendu compte que quelque chose manquait à ces nombres et en a inventé d’autres, représentés par des fractions p/q où p et q sont deux nombres entiers. On a cru que tout était là, mais il manquait encore quelque chose. Par exemple, la racine carrée de 2 ne peut pas s’écrire comme une fraction. Ce problème apparaît déjà dans le Talmud, par exemple dans le Traité de Erouvin. À chaque fois les ‘Hakhamim emploient comme valeur approchée 1 et 2/5. Finalement, les mathématiciens ont défini un ensemble de nombres « réels » qui contient tous les entiers naturels, toutes les fractions, et bien plus encore. Il contient aussi tous les nombres négatifs, en miroir des nombres positifs. Cet ensemble ne présente plus de trous (la démonstration est assez ardue) et peut être représenté par une ligne droite continue. Chaque point correspond à un nombre réel et chaque nombre réel correspond à un point. Sur la figure, A correspond à 2.34, B correspond 4.46 et C à -1.5.
Pourquoi cette discussion ? Parce qu’on parle de דרגות קדושה = degrés de Sainteté, comme les degrés de l’escalier. Se rapprocherait-on de D. par l’ascension d’un « escalier » ? Rabbi Yosef Gicatilia, un des grands de la Torah en Espagne, nous enseigne dans son livre Chaare Ora, qu’entre nous et D. il y a un continuum. Pas de sauts, pas de discontinuité, mais une montée continue. Si on crée une discontinuité quelque part, c’est le début d’un culte étranger. Par conséquent, un processus de תשובה ne devrait pas être un processus heurté, sautant d’un niveau à l’autre, mais une montée continue, progressive. Si on saute d’une marche à l’autre de l’escalier, on peut tomber. De façon imagée, pour vivre à hauteur du Ari za’l, il faudrait être le Ari za’l.
Comme l’esprit humain ne peut embrasser l’infinité des nombres réels, a fortiori l’infinité de niveaux entre nous et D., il nous faut des descriptions par degrés, en nombre fini (un piyout de Cha’harit de Kippour, avant la Kedoucha, en décrit quatre), mais il y a une infinité de degrés. Nous avons toujours quelque chose à faire. שובה ישראל עד ה’, D. est infini et son approche est infinie.
Le בית המקדש donne une image concrète des phénomènes d’En Haut. On monte vers l’autel extérieur מזבח העולה par un plan incliné, pas par des marches – des degrés afin de ne pas dévoiler de nudité. Les Cohanim portent pourtant un sous-vêtement long sous leur tunique, ne dévoilant rien. Peut-être la Torah nous enseigne-t-elle là que si on croit pouvoir s’approcher de D. par des sauts, en court-circuitant le travail lent et continu, on risque de se trouver nu de ce qu’on cherche.
Bonne montée et bonne année 5776.
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