La Russie, tout comme les États-Unis et l’Europe, a misé sur le cheval iranien chiite, et sur ses alliés syriens alaouites. Les avions et les canons russes et syriens ont bombardé l’est d’Alep, sans pitié aucune ni pour les maisons des civils, ni pour les hôpitaux, ni pour les écoles. Ces cinq ans de guerre en Syrie ont causé la mort de près d’un demi-million de personnes, et la moitié de la population, dont 80% est sunnite, s’est trouvée expulsée de chez elle sans espoir de retour, la plupart des maisons et appartements ayant été détruits dans les bombardements.
On peut s’étonner du soutien des Chiites par l’Occident, quand on se souvient que 85% des 1,5 milliards de Musulmans dans le monde sont Sunnites. Selon le droit musulman sunnite, quiconque s’attaque à la nation islamique est passible de mort, et l’exécution de cet ordre est un devoir individuel incombant à chaque Musulman, sans qu’il n’ait besoin d’un certificat ou d’une directive de quelque dirigeant que ce soit. Depuis la célèbre fatwa de Bin Laden, et personne avant lui n’en avait publié de semblable, tout citoyen d’un pays où se déroulent des élections, porte la responsabilité personnelle des actes de son gouvernement. Vrai pour tout civil, ce devoir prend a fortiori plus d’importance quand il s’agit d’un représentant officiel du gouvernement russe, gouvernement qui assassine sans pitié des Musulmans sunnites : l’ambassadeur russe en Turquie représentait en conséquence une cible légitime privilégiée, selon la doctrine sunnite, et l’on ne doit pas s’étonner qu’il ait été tué.
Le fait que l’assassin était un policier, recevant son salaire de l’État turc, et donc censé respecter la loi, et pas « un jeune délinquant de banlieue défavorisée », doit nous rappeler que pour la majorité des Sunnites, la charia, la loi islamique, prévaut sur la loi d’Etat. On compte dans le monde près de cinquante pays musulmans avec une majorité sunnite, et dans tous ces pays, on enseigne essentiellement la même charia de base. Donc, le risque que d’autres attentats de ce type s’y produisent est élevé. De plus, dans la majeure partie des pays d’Europe occidentale, vivent entre un demi-million et quelques millions de Musulmans, en très grande majorité Sunnites. Différents sondages ont montré que des dizaines de pourcent d’entre eux souhaitent que la charia soit la loi qui régisse les régions dans lesquelles ils sont majoritaires, et qu’elle y soit respectée à la lettre. Des dizaines de milliers d’entre eux ont rejoint la filière du djihad, et des milliers d’entre eux combattent dans les rangs des djihadistes en Syrie. Il ne fait aucun doute qu’ils voudront eux aussi se venger de ceux qu’ils considèrent comme coupables du massacre et de l’épuration religieuse des Musulmans sunnites en Syrie.
Malgré l’assassinat de l’ambassadeur, la visite du ministre des Affaires étrangères turc en Russie a été maintenue, et on peut estimer qu’il ne mettra pas en danger les relations entre les deux pays, relations rétablies avec grandes difficultés après que les Turcs ont abattu un avion de combat russe en fin d’année dernière.
Mais il faut s’attendre à ce que ni les Russes ni les Européens ne révisent leur politique pro-chiite, et à ce qu’ils continuent à soutenir l’axe iranien sur le compte de l’axe sunnite, qui, avec à sa tête l’Arabie saoudite, mène une guerre sans merci contre les Chiites au Yémen, et qui soutient de manière non formelle les rebelles syriens. En conséquence, l’assassinat de l’ambassadeur russe et l’attentat meurtrier à Berlin risquent de n’être que les premiers dans une chaîne d’attentats dont le but sera de se venger des massacres en Syrie et de l’abandon du monde sunnite, en tant que dirigeant et représentant légitime du monde musulman. Le peu de manifestations contre les massacres en Syrie et la passivité de la communauté internationale face à ce massacre ne feront qu’accroître leur motivation à commettre des attentats meurtriers en Occident.
Ephraïm Herrera est docteur en histoire des religions, diplômé de la Sorbonne et vient de publier « Les maîtres soufis et les peuples du livre » aux Éditions de Paris, ainsi que « Le djihad, de la théorie aux actes » et les deux tomes des « Étincelles de Manitou » aux éditions Elkana.