Par Tal Cohen
Quand une bataille individuelle peut servir d’exemple à la collectivité
Raphaël Azoulay vient de fêter ses 20 ans. Ce deuxième enfant d’une fratrie de quatre a été diagnostiqué autiste sévère peu après la naissance. Pour les parents de jeunes comme Raphaël, victimes d’un lourd handicap, la vie prend alors des allures de parcours du combattant. Et la situation ne va pas en s’améliorant les années passant. Au contraire. “Jusqu’à l’âge de 21 ans, les jeunes à besoins spécifiques, quelle que soit la déficience dont ils sont atteints, dépendent du ministère de l’Education”, explique la maman de Raphaël, Audélia Azoulay, Francophone d’origine, installée en Israël avec sa famille depuis une douzaine d’années. “Mais ensuite, c’est le ministère des Affaires sociales qui prend le relais, et là, c’est une autre histoire”.
Depuis 12 ans, Raphaël était intégré dans une classe de 5 élèves, encadrée par la même professeure. Puis avec la fin de l’année scolaire 2015, et l’âge des autres enfants ayant atteint les fatidiques 21 ans, ce petit noyau rassurant pour ces enfants lourdement affectés par la maladie était sur le point de voler en éclat. “Le moment que nous redoutions tellement”, note Audélia. Mais c’était sans compter sans la détermination de cette dizaine de parents, qui s’est battue becs et ongles pour que leurs enfants puissent continuer à bénéficier, ensemble, d’un encadrement adapté.
Ils frappent à toutes les portes, se lancent dans des démarches administratives harassantes, jusqu’à ce que, sous l’égide de Shekel, une solution soit trouvée, porteuse de promesses. “Il existe des structures d’accueil pour autistes”, explique Audélia, “mais je n’ai même pas voulu aller les visiter. Je n’y aurais jamais placé mon fils. Elles manquent de moyens, de personnel. Et nous voulions que nos enfants restent ensemble, qu’ils perpétuent ce lien qu’il leur a fallu des années à tisser”.
Car Raphaël et les autres jeunes qui l’entourent ne sont pas en mesure de communiquer à proprement parler. L’échange se fait par le moyen de tablettes électroniques, et d’un logiciel d’images qui leur permet d’exprimer, dans la mesure du possible, leur ressenti. Pour ces jeunes, la routine et la répétition sont la clé de leur stabilité. Chaque changement est perturbateur et menace de faire s’écrouler l’édifice de leurs acquis. D’où l’importance de conserver un cocon structuré.
Quant à l’option de la garde à domicile, à leur âge, elle relève de l’impossible. “Ce sont des hommes”, pointe Audélia. Dotés d’une force physique qui peut parfois s’accompagner de violences difficilement gérables pour l’entourage.
Alors les parents se sont battus. Et comme bien souvent le nerf de la guerre n’est autre que l’argent, ils ont lancé une campagne de dons sur Internet, et investi eux-mêmes, largement. Ils ont obtenu de quoi financer l’équivalent d’un an et demi de ce qui constitue désormais le quotidien de Raphaël et ses compagnons : 3 jours par semaine dans les locaux de l’école David Yellin, et deux jours au kibboutz Tsouba, dans les environs de Jérusalem.
Ce projet, nommé Mika (המרכז יום לצעירים עם אוטיזם בקהילה) veut lui aussi s’inscrire dans une dimension sociale. Aux côtés des activités nécessaires au bien-être physique et psychologique des jeunes, qui demandent une assistance personnalisée continue, leur seront aussi proposées des occupations actives, comme la promenade de chiens, des travaux de menuiserie pour le compte du kibboutz Tsouba, ou la pose d’autocollants, encadrés par des jeunes filles du Shirout Leoumi. A leur mesure. “Ces jeunes ont une capacité de concentration très réduite. Pas plus d’une heure”, pointe Audélia. Ce qui explique la nécessité de leur créer un emploi du temps très varié. Cette mère de famille qui a quitté la France quand Raphaël avait 8 ans, excédée du regard des autres sur son fils dans les lieux publics, célèbre la grandeur d’âme de la société israélienne, si prompte à accepter la différence. Pour elle, ce projet Mika est une bénédiction. La possibilité de penser à elle, d’agir pour elle, tout simplement. “Pendant des années, j’ai été programmée à partir de Raphaël. Cette structure nous permet aussi d’avoir une vie.” Aujourd’hui, elle s’est spécialisée dans les Fleurs de Bach et la psychologie juive, et reçoit à domicile.
Son souhait, que d’autres projets comme celui de Mika, se reproduisent un peu partout, pour que d’autres parents, d’autres familles, confrontées à l’autisme puissent s’épanouir elles aussi.