LPH a décidé de consacrer ce numéro au phénomène des familles monoparentales, parce qu’il nous a paru important de mettre en avant le quotidien de ces femmes et de leurs enfants et de s’interroger sur le regard que la société leur porte. Pour cela, nous sommes allés à la rencontre de quatre femmes qui, bien que dans une situation apparemment semblable, symbolisent chacune une facette très différente de la vie de mère seule. La plupart ont préféré garder l’anonymat par pudeur et par crainte aussi de la réaction de leur ex-mari.
Joanna
Divorcée, 3 enfants (7, 5 et 2 ans)
Joanna est divorcée depuis seulement trois mois et demi mais elle a déjà pris toute la mesure de ce qu’est le quotidien d’une mère seule : « Au début, j’ai eu un peu peur. Financièrement, il était déjà difficile de s’en sortir quand on était deux à travailler, alors comment allais-je faire toute seule ?! J’ai reçu beaucoup de soutien et d’aide du Ciel aussi ».
Néanmoins, Joanna se heurte aussi tout de suite aux difficultés administratives et bureaucratiques liées à son nouveau statut. Elle ne se laisse pas abattre : « Les premiers temps, il a fallu rassurer les enfants qui se sentaient coupables de notre séparation. J’ai beaucoup parlé avec eux, je leur ai expliqué la situation. Mon quotidien demande aujourd’hui, évidemment, beaucoup d’organisation. Ma mère n’est pas loin et le fait de le savoir m’aide aussi. Les premiers shabbat ont été difficiles : les enfants étaient étonnés de voir Maman dire le kiddouch, le motsi. Puis j’ai compris que je devais apporter de la joie, de la bonne humeur dans ces moments et tout se passe bien maintenant. Aujourd’hui, je peux dire que je vis bien ma nouvelle vie, tout cela n’est pas dramatique, c’est gérable ».
En revanche, Joanna nous confie ne pas avoir de temps pour elle-même : « Au début, j’en souffrais, c’est vrai… Quand on a des enfants petits, cela occupe beaucoup. Et le soir venu, quand ils sont endormis, on se sent vraiment seule, on a personne avec qui parler, partager sa journée. Mais à vrai dire, ce n’est pas cela le plus important, ce qui compte, c’est la façon dont les enfants le vivent, comment ils surmontent cette phase de leur vie. Je n’ai pas le sentiment de me sacrifier ». Ce qui aura, apparemment, le plus marqué Joanna, c’est le changement dans le regard des autres : « On nous regarde un peu comme des pestiférés… J’entends dans mon dos des : « Avec 3 enfants, qui voudra la regarder » ? Je vis dans un milieu religieux et cela a ajouté aux justifications que je devais donner sur mes décisions. Puis j’ai décidé d’arrêter de me justifier. Au début on me faisait me sentir coupable d’avoir divorcé, ce sujet est encore mal vu. Je ne prête plus attention à tout cela : personne n’a le droit de me juger » !
Myriam (nom d’emprunt)
Veuve, 5 enfants
Il y a trois ans, alors que Myriam venait d’accoucher de son 5ème enfant, son mari décède à la suite d’un accident cardiaque que rien ne laissait présager. À 31 ans, elle se retrouve veuve avec 5 enfants à charge, qui ont entre 7 ans et 1 mois… Elle nous raconte son quotidien : « Les premiers mois ont été marqués par des sentiments très mélangés, un vide total, un manque de forces, et en même temps, je n’avais pas le choix, il fallait que j’agisse. Avoir cinq enfants dont il faut s’occuper vous procure un besoin intense de vivre ». Rien n’est facile : à la douleur de la perte de son mari s’ajoute aussi le fait que Myriam n’a pas de famille sur place, tout le monde étant en France. « J’ai reçu beaucoup de soutien de mes amis proches, de ceux de mon mari. Ils ont été une bouée de sauvetage. Je ne suis pas quelqu’un qui demande de l’aide, mais je ne l’ai jamais refusée ». Cette aide lui permet de reprendre le dessus, de ne pas se laisser aller, mais elle nous confie aussi que cela lui enlève une part de son intimité dans son quotidien. « Parfois, je me »vois » vivre, comme si je devais opérer un dédoublement pour survivre ». Myriam assume tout, la parnassa, l’éducation et elle insiste sur l’aide providentielle qu’elle reçoit « dans les moindres détails : au fur et à mesure, les forces reviennent même si la douleur reste ».
Et le regard des autres ? Lorsque je sors de mon cercle d’amies proches, les regards changent. Je ne veux pas dire qu’on me juge mal, au contraire. Les gens ne savent pas comment se comporter avec moi, ils ont peur de dire quelque chose qui puisse me blesser. Par exemple, certaines vont se sentir obligées de ne pas parler de leur mari devant moi. Certaines personnes même de la famille n’ont pas osé prendre le téléphone pour m’appeler… À vrai dire, la première année, j’ai eu l’impression d’avoir tout perdu ».
Aujourd’hui Myriam vit à 100 à l’heure, comme elle dit. « Parfois, je pleure de fatigue à la fin de la journée, parfois je me sens impuissante… puis cela repart, je trouve des forces que je ne soupçonnais pas. Les enfants ont besoin que l’on vive »comme avant », normalement. Le rapport que j’ai avec eux est unique, ils me donnent toute mon énergie. Je me sens aussi beaucoup plus proche d’Hachem, c’est ma bouteille d’oxygène ». Même si Myriam reconnaît qu’il est difficile pour elle de profiter de chaque instant, même si elle n’a pas de temps pour se retrouver avec elle-même, elle s’attache à prendre ses responsabilités de mère et de ne rien rater de cette époque de la vie de ses enfants qu’elle sait fondamentale : « Ils comptent sur moi ».
D.A.
Divorcée, 1 enfant
Après s’être séparée du père de son enfant, il y a 16 ans, elle se retrouve surendettée parce que c’est elle qui a toujours entretenu le couple et parce que lui n’a jamais rien voulu payer, même pas la pension pour son fils… De la région parisienne, D. part pour Marseille où on lui propose un poste dans une école juive : « J’ai accepté parce j’allais avoir exactement les mêmes horaires et les mêmes vacances que mon fils. Cela me permettait d’être présente pour lui ». En effet, son père exerçait un chantage affectif sur lui, il a dû être suivi par un psychologue.
À Marseille, D., sur les conseils de connaissances, refait sa vie avec un homme qui finira par l’escroquer et lui prendre tout son argent : « Mon fils et moi étions comme en prison. Je n’avais pas d’argent pour lui acheter des chaussures ou même pour lui payer le métro pour aller à l’école » ! Les frères de D. l’aident à fuir Marseille pour Toulouse en plein milieu de l’année scolaire : « Les trois mois qui nous séparaient de la fin de l’année scolaire ont été les pires pour mon fils. Il y a eu des moments de déprime, mais je suis d’une nature forte, je me reprenais rapidement et surtout je ne voulais pas que mon fils sache que je n’allais pas bien ».
Finalement D. prépare un dossier pour l’alya : « Le père de mon fils ne voulait pas signer les papiers alors même que lui avait fait son alya quelques temps auparavant ». D. arrive en Israël il y a 7 ans, son fils alors âgé de 14 ans. Le projet, ils l’ont décidé ensemble : « J’ai toujours parlé de tout avec mon fils. Quand je me suis séparée de son père, je lui ai expliqué alors qu’il n’avait que 5 ans et cela a continué et continue encore. Je crois beaucoup en l’importance du dialogue avec son enfant. Et il s’est beaucoup épanoui en Israël : il a eu le Bac à 17 ans et termine bientôt son service militaire. Nous sommes très proches, il fait très attention à moi et réciproquement » ! D., contrairement à Joanna, n’a pas souffert du regard des autres pendant toutes ces années : « Quand on a des soucis, on voit qui sont nos vrais amis, c’est tout. Et finalement, on s’aperçoit que nous ne sommes pas dans une situation si rare, je rencontre beaucoup de femmes dans mon cas ».
Deborah
Divorcée, 8 enfants
Deborah divorce il y a 8 ans, enceinte de 7 mois de son 8ème enfant, alors que son aîné n’a que 12 ans. À la question de savoir si le fait d’être mère de bientôt 8 enfants au moment de son divorce l’a faite hésiter sur sa décision, Deborah répond : « Je ne pouvais plus vivre avec lui, c’était soit le divorce, soit j’allais mourir. Je n’ai pas réfléchi en fonction de mes enfants. Au début, c’est vrai on est mal dans sa tête, j’ai pleuré, plusieurs jours. Puis je me suis dit que je n’allais pas passer le reste de ma vie à pleurer. Donc je me suis prise en mains ».
Se retrouver avec 8 enfants à élever n’est déjà pas simple, mais en plus Deborah nous raconte que le père de ses enfants est parti en France avec le chéquier et son salaire et elle s’est ainsi retrouvée interdite bancaire pendant 2 ans : « La communauté Habad m’a beaucoup soutenue, Koupat Haïr m’a payé les loyers pendant six ans ; pendant une année entière, j’achetais à manger à mes enfants avec des coupons que je recevais ». Comment élève-t-on seule 8 enfants ? « Un Juif n’est jamais seul ! Hachem a voulu que je les ais, il m’aide aussi à les élever. Je ne me pose pas de questions, j’avance, sinon je ne ferais rien. J’ai une responsabilité envers mes enfants : les préparer à devenir des adultes. Je m’y tiens. J’ai même étudié un peu de psychologie pour pouvoir répondre à tous leurs besoins ». Et Deborah parvient même à trouver du temps pour elle : « Bien sûr, c’est très important ! C’est cela l’équilibre et c’est aussi ce que l’on transmet à nos enfants. J’ai repris des études, j’ai même fait quelques chidou’him, mais ce n’est pas cela pour moi le plus important. Je préfère me concentrer sur mon avenir professionnel et sur celui de mes enfants » !
Guitel Ben-Ishay