Interview parue dans Actualité Juive numéro 1656 réalisée par Pascale Zonszain
Les enjeux régionaux et mondiaux exigent d’Israël une remise en question permanente de ses impératifs stratégiques. De l’Iran à l’Ukraine, les défis ne manquent pas. Meir Masri, docteur en géopolitique et maître de
conférences à l’université hébraïque de Jérusalem, livre son analyse à Actualité Juive.
L’été qui s’achève rebat une nouvelle fois les cartes stratégiques. Avec l’Iran au premier chef. Quel accord sur le nucléaire iranien serait supportable pour Israël ? Et peut-il encore influer sur le résultat final ?
Meir Masri : Je crois qu’on est arrivé à un point où aucun accord avec le régime iranien n’est acceptable pour Israël. Premièrement, parce que l’expérience a démontré que ce régime ne respecte pas ses engagements. Le rapport accablant de l’AIEA paru récemment en est une parfaite illustration. Par conséquent, du point de vue israélien il est préférable de préserver le statu quo en vigueur plutôt que de signer un accord incomplet, provisoire et qui ne sera de toute manière pas honoré. Deuxièmement, parce que le projet d’accord prévoit une levée du régime des sanctions, ce qui permettrait à Téhéran de récupérer plus de 100 milliards de dollars par an et d’investir davantage de ressources dans le terrorisme international et le financement de ses milices arabes.
L’opération « Aube » menée le mois dernier par Tsahal contre le Jihad islamique a-t-elle été un succès ? Que peut-elle changer sur le long terme ?
M.M. : Elle a été un succès total. D’abord, Tsahal a réussi à éliminer l’ensemble du commandement suprême de cette milice dans la bande de Gaza en trois jours. De plus, des dizaines d’infrastructures et de bureaux appartenant au Jihad islamique ont été réduites à néant. Enfin, le Hamas n’a pas appuyé le Jihad islamique et a même conduit les efforts visant à parvenir à un cessez-le-feu. Cette opération éclair a ainsi renforcé la force de
dissuasion d’Israël et a drastiquement affaibli la deuxième force terroriste dans la bande de Gaza. Elle a aussi démontré que face à la menace du terrorisme, Israël était uni ; puisque la coalition s’est montrée unanime et que le Premier ministre a agi de concert avec le chef de l’opposition.
On entend depuis le début de l’été de nouvelles menaces de Hassan Nasrallah à propos du gisement de Karish. Il y a eu des drones tirés par la milice chiite libanaise et interceptés par Tsahal. Faut-il craindre un risque de confrontation avec le Hezbollah autour des champs gaziers en Méditerranée ?
M.M. : Je ne pense pas. Le Hezbollah ne bénéficie plus de la même popularité dont il disposait il y a quinze
ans au pays du Cèdre. Il a pris le Liban en otage et il ne s’aventurera pas dans une guerre qui pourra lui faire perdre ses acquis. Enfin, le régime iranien n’a aucun intérêt à provoquer des désordres supplémentaires, alors qu’il est aux abois du fait des sanctions qu’il subit et qu’il cherche à tout prix à parvenir à un accord au sujet de son programme nucléaire.
La Turquie et Israël ont officiellement renoué leurs relations diplomatiques. Qui a le plus à y gagner ?
M.M. : Rappelons d’abord que durant ces années de tensions avec le pouvoir turc, les échanges économiques
entre Jérusalem et Ankara sont restés intacts, la balance commerciale n’a même pas cessé d’augmenter… Si
le réchauffement relatif des relations peut contribuer à une diminution significative du soutien turc apporté
au Hamas, ce serait un exploit pour Israël. S’agissant de la Turquie, ce n’est pas avec Israël qu’elle renoue,
mais avec un ensemble d’États qu’elle n’a cessé de défier durant la dernière décennie – dont l’Égypte, les
Émirats arabes unis et même l’Arabie saoudite. Il ne s’agit donc pas d’une réconciliation avec Israël, mais d’une
remise en cause globale et structurelle de sa politique régionale.
Le monde connaît une forte période d’instabilité, entre la guerre en Ukraine, la crise énergétique et les problèmes climatiques. Quels risques pour Israël et la région ?
M.M. : Je dirais qu’Israël s’en sort plutôt bien. Le pays a développé une expertise de renommée mondiale en
matière d’irrigation et de culture en milieu aride, ainsi que des solutions aux problèmes climatiques. Il est cependant affecté par l’inflation qui touche l’Occident de plein fouet et qui fait grimper les prix chez nous,
du fait de la mondialisation et de l’imbrication des économies. Enfin, et c’est sans doute le plus inquiétant,
ce bras de fer mondial incite Israël à prendre position. Notre solidarité naturelle avec l’Ukraine occupée
et l’Occident dont nous partageons les valeurs et de multiples intérêts risque de nous mettre à dos le pouvoir
russe dont nous avons besoin notamment pour maîtriser l’Iran en Syrie.
Propos recueillis par Pascale Zonszain. Actualité Juive numéro 1656
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