- Trouvez-vous que les medias sont, en règle générale, assez ouverts aux différents courants d’opinion? En France? En Israël?
- Parle-t-on davantage aujourd’hui de cette ”censure” parce qu’elle est plus importante ou parce que justement les choses seraient en train d’évoluer?
- La liberté d’expression dans les medias a-t-elle, toutefois, des limites qu’il conviendrait de mettre en place? Toutes les opinions doivent-elles avoir voix au chapitre?
Professeur émérite des Universités
Auteur de “La nouvelle idéologie dominante. Le postmodernisme”. Hermann -Philosophie, 2011. Lauréat pour ce livre du “Prix des impertinents” du journal Le Figaro.
1) Dans tous les pays démocratiques se produit un même phénomène. Une sphère médiatique s’est constituée dont tous les membres partagent la même version des faits que par profession les journalistes sont censés “rapporter” (d’où la notion de reporter) à l’opinion publique. Cette version est marquée politiquement sauf qu’elle se travestit dans une posture qui se veut incarner “la morale” et les “droits de l’homme”. Je définis cette idéologie comme le post modernisme. C’est sous cette ambition moralisatrice qu’une connexion s’est développée entre le pouvoir médiatique et le pouvoir des juges, deux pouvoirs que personne ne contrôle ni ne choisit et dont la cible est les pouvoirs exécutif et législatif.
2) Si vous n’épousez pas les idées préconçues du discours autorisé évidemment vous êtes exclu de la scène publique ou alors invité pour y être “exécuté” symboliquement en public. Une partie des intellectuels juifs français, ceux qui n’ont pas joué le jeu médiatico-idéologique dans les années 2000 (dont l’exigence suprême est de condamner Israël ou de faire l’apologie des Palestiniens) se sont vus ainsi exclus de la scène publique ou taxés de toutes les caricatures possibles. On commence à parler de cette censure, justement parce qu’elle constitue un phénomène incroyable dans un régime démocratique réputé pluraliste. Dans une dictature on sait que tout est faux. Aujourd’hui la vérité est invoquée pour affirmer des choses construites pour servir une cause idéologique.
3) Je viens de dire que la situation montre que toutes les opinions n’ont pas accès à la publicité. Donc aujourd’hui, c’est là que se situe la frontière. Sauf que la grande révolution des années 2000, l’internet, a changé la donne. Tout un chacun pour le pire comme le meilleur a d’autres voix qui lui parlent venant d’ailleurs que les médias classiques. Le discours postmoderniste dominant est particulièrement hostile à l’Etat, à la nation, à l’identité nationale… C’est le cas en France comme en Israël. Quand il s’agit de médias publics, c’est particulièrement odieux et aberrant, surtout en situation de guerre ou de menace terroriste, notamment les guerres asymétriques car c’est justement le détournement des médias qui est l’arme suprême des agresseurs. Si cette situation dépasse la rampe des médias, c’est que la situation est politique et que la société est en crise.
Journaliste
1) En France comme en Israël, la presse reflète la pensée dominante. Ainsi sur le conflit israélo-palestinien, la plupart des journaux français défendent les positions du Quai d’Orsay. Les journaux israéliens, défendent celles de l’élite ashkénaze laïque. Il existe un mythe tenace selon lequel les journalistes obéissent à des instructions venues d’en-haut.
2) Dans un pays démocratique, la censure ne s’exerce jamais de façon directe : les journalistes s’autocensurent, plus ou moins consciemment. Ils savent jusqu’où ils peuvent aller. Aux marges, des médias comme Valeurs Actuelles en France ou Makor Rishon en Israël, brisent le consensus et accueillent des opinions dissidentes.
3) La preuve que la liberté d’expression existe dans ces deux pays. Internet permet à tous les discours – même les plus radicaux – de trouver une audience. Personnellement je m’en réjouis. Le danger pour une démocratie n’est pas la diversité des points de vue mais le politiquement correct qui stérilise le débat public. Cette dérive explique pourquoi désormais à chaque consultation populaire (élections israéliennes de 2015, Brexit, présidentielle américaine…), le peuple ne vote pas comme l’escomptaient les médias. Trop idéologisées, les salles de rédaction se sont déconnectées du pays réel.
Journaliste israélien
1) Le monde des medias n’est pas assez ouvert d’une manière générale. Il est surtout positionné à gauche et qualifie les idées qu’il diffuse à longueur de journées de ”courageuses”! Si on s’avise de défendre une opinion différente, on est considéré comme fou ou extrémiste.
Prenez l’exemple de l’arrivée sur Galei Tsahal d’un journaliste de droite comme Erel Segal. Sa nomination, après tant d’années de programmation uniquement à gauche, a provoqué un tollé! Que n’a-t-on pas entendu!
2) Si on en parle plus aujourd’hui, c’est parce que les choses sont en train de changer. Après avoir fait la vie dure à des medias comme Aroutz 7 ou Israël Hayom, qui apportaient d’autres idées dans le monde médiatique, on a aujourd’hui Aroutz 20, une chaîne sioniste qui donne la parole à tous les courants de pensée. Dans notre émission ”Patriotim”, sur cette chaîne, nous avons un panel qui va de Yoram Sheptel à Yariv Oppenheimer. Tous se retrouvent sur un même plateau et débattent.
3) Je pense que tout le monde doit pouvoir donner son avis. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons parler de démocratie. Nous n’avons pas peur de confronter nos idées! C’est ce qui rend le débat riche et intéressant. Ainsi nous avançons et le monde des médias peut prétendre jouer le rôle d’un outil pour refléter l’état de notre société.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay