Un certain nombre de voyages curieux et d’explorations de Rabba bar bar ‘Hana nous sont racontés dans le traité de Baba Batra. En voici un (page 73b). Raba bar bar ‘Hana raconte : “J’ai vu une grenouille, aussi grande que la ville de Hagronia, à savoir soixante immeubles. Est venu un crocodile (תנין) qui a avalé la grenouille. Puis est venu un corbeau (femelle); il a avalé le crocodile, après quoi il s’est envolé et s’est posé sur un arbre. Comme cet arbre est solide ! Rav Papa bar Shmuel a dit : si je n’avais pas été là, je ne l’aurais pas cru.”
Le Rav Kook (מאמרי ראי”ה 428) explique ce récit par trois formes de dureté (certains traduisent cruauté, mais je préfère dureté).
Tout d’abord la dureté d’une personne envers elle-même, symbolisée par la grenouille. En Egypte, les grenouilles ont accepté d’entrer partout, y compris dans les fours des maisons, pour accomplir la Volonté Divine (Exode 7,28). C’est ce qui a poussé Michaël, ‘Hanania et Azaria à se laisser jeter dans la fournaise (dans les Seli’hot, nous rappelons leur mérite). Ici la grenouille n’est pas grosse comme un bœuf, mais comme 60 immeubles, certains disent 60 maisons d’étude.
Le crocodile représente une forme supérieure de dureté, qui “avale” la précédente, dureté envers autrui. Bien au-delà se trouve la dureté de la femelle du corbeau, qui “avale” la précédente, dureté envers sa propre progéniture. Nos Sages disent que la femelle du corbeau ne se soucie pas de ses petits.
Malgré les aspects négatifs évoqués ci-dessus, ces trois niveaux de dureté permettent l’apparition de la Torah. Sur le verset (Nombres 19,14) parlant de la Torah du mort dans la tente (זאת התורה אדם כי ימות באוהל), les Sages nous disent (Chabat 83b) que la pérennité de la Torah est assurée par “celui qui se tue pour elle”. Nous ne discuterons pas ici les assertions plus ou moins justes, plus ou moins erronées, qui circulent sur ce texte. Toujours est-il que l’exemple de Rabbi Akiva, et surtout de son épouse, est parlant : une séparation de 12 ans, une vie de pauvreté, qui ont permis l’apparition de la Torah de Rabbi Akiva, base de toute la Torah qui est dans nos mains aujourd’hui.
Revenons au départ. La grenouille peut symboliser le .תלמיד חכם Comme la grenouille qui coasse jour et nuit, le תלמיד חכם n’a de repos ni jour ni nuit (voir Josué 1,8). Plus haut nous avons mis entre parenthèses le mot hébreu תנין après l’avoir traduit par crocodile. Certains le traduisent par serpent. Le serpent incite le תלמיד חכם à ne pas suivre un chemin de Torah. Il s’enroule autour de lui afin de l’avaler. Vous vous souvenez du sssssserpent qui s’en prend à Mowgli? Aie confiancccccccce…. Un boa peut avaler un éléphant, gros comme 60 maisons, ce qui lui fera porter le chapeau (voir le Petit Prince, ce n’est pas vraiment un livre pour enfants).
Cependant il est possible d’identifier le serpent et de s’en méfier. Avec le corbeau, les choses se compliquent. Corbeau se dit en hébreu עורב, d’après la racine ערב – mélange. Il mélange tout. Avec lui, plus de gradation dans les niveaux de קדושה. Avec lui, il est très difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Là est le danger le plus grand. Pour vaincre il faut d’abord identifier l’ennemi. Mais quand l’ennemi vous ressemble ?
Comment faire? En se posant sur l’Arbre de Vie. C’est le sens de la remarque de Rav Papa bar Shmuel. Lui seul est assez solide pour résister, contre le serpent (le crocodile) et le corbeau.
Le Malbim (dans ארץ חמדה) dit que cette parabole de la grenouille, du serpent et du corbeau parle des savants des “sagesses extérieures”. Un tel savant, livré à sa science seule, peut être un expert de niveau mondial dans son domaine (équivalent à 60 maisons d’étude?). Mais vienne l’instant, sonne l’heure, le serpent le fera déraper. A-t-il manqué de grands scientifiques dans le parti nazi ? Quid des savants antisémites forcenés en URSS? N’y a-t-il pas de nos jours de grands savants qui soutiennent, sur des bases de chimie, de biologie, etc. tous les errements moraux possibles ?
Si les sagesses sont “extérieures”, alors elles sont serpent et corbeau. La Science réelle est la Science de la Torah, elle s’assied sur l’Arbre de la Vie. Le chimiste, le physicien, le biologiste, le mathématicien, tous approfondissent la compréhension du Créé et par-là avancent vers la connaissance du Créateur. La Science décrit le monde du Créateur et permet à l’Homme de s’approcher de son Créateur. Nous avons déjà eu l’occasion de citer le poème de Rabbi Yéhouda Halevi qui se termine par חקור פעליו. Etudie Ses actions, cherche, approfondis Son monde. Maïmonide le dit aussi. De toute façon, cette acception très large est déjà dans le mot מדע.
יום העצמאות שמח. מועדים לשמחה ולגאולה שלמה.
Pr Noah Dana-Picard