Shlomo Balsam, président de l’association Aloumim et intervenant à Yad Vashem nous livre son point de vue au lendemain de la déclaration de Binyamin Netanyahou sur l’implication du Mufti de Jérusalem dans l’extermination des Juifs pendant la Shoah. Il livre aussi son témoignage en tant que fils de l’une des combattantes de la Brigade Juive, qui s’est battue contre les nazis en Palestine.
Ma mère, Myriam Einhorn s’engage en août 1942 dans les A.T.S. (Auxiliary Territorial Service), quasiment à la même date où son père, en France, est déporté de Pithiviers vers Auschwitz, et elle devient « driver », chauffeur de jeeps et de camions militaires. Sioniste et idéaliste, elle est montée en Eretz Israël en 1936 et a été l’une des fondatrices du kibboutz Glil-Yam. Elle reçoit la nationalité palestinienne, et est une « halutza », une pionnière.
Elle fait ses classes au camp de Sarafend, entre Jérusalem et Tel-Aviv, où elle apprend à conduire des camions et des jeeps, où elle apprend la mécanique et l’anglais… Pourquoi « Driver » ? « “On bouge, et surtout on n’est pas à la cuisine » ! Puis elle part pour l’Égypte : sa base est à Tel-El-Kébir, entre Le Caire et Ismailia. Et elle conduit : elle transporte des troupes, du matériel et souvent même « des huiles venues d’Europe qu’on emmène le long du canal de Suez… ». Il y a même des moments éducatifs, comme au temps où elle était aux Éclaireurs Israélites à Paris et que sa cheftaine était une certaine Lou Kadar, qui plus tard sera la secrétaire particulière de Golda Meir. Les soldats de cette fameuse Brigade Juive, Jewish Legion, rencontrent les jeunes Juifs de la communauté juive d’Égypte, qui les regardent émerveillés. Accompagnés de leurs maîtres et rabbins, les enfants entourent les braves soldates, qui pour certains représentent sûrement la garde personnelle du Roi David…
La phrase maladroite de Bibi Netanyahou concernant le Mufti de Jérusalem, Hadj Amin El Husseini, nous permet au moins de préciser plusieurs faits historiques. Né en 1885 à Jérusalem, alors dans l’Empire ottoman, il devient après la déclaration Balfour l’un des principaux leaders contre la présence britannique et celle des Juifs, sionistes ou non, dans la nouvelle Palestine anglaise. Il est derrière le massacre de Hevron de 1929 et la grande révolte arabe en 1936. Il est fasciné par Hitler et quand il s’enfuit en 1941 d’Irak où il est poursuivi pour avoir essayé d’organiser une révolution arabe contre les Anglais, c’est à Berlin qu’il trouve refuge de 1941 à la fin de la guerre.
À Berlin il a un bureau, il rencontre les grands dirigeants nazis, il est responsable de la propagande nazie en arabe à la radio. Il obtient la création en Bosnie d’une division nazie musulmane. On le voit tout le temps saluer avec le salut nazi, bras tendu. Mais le point important est le fait qu’avec les armées de Rommel, le fameux Afrika Korps, il est censé se joindre à l’« Einsatzgruppen Aegypten », un groupe armé chargé après la conquête de la Palestine d’y tuer tous les Juifs, dans la vallée de Dotan, près de Sichem (Naplouse). Il y aura même, d’après les plans, des fours crématoires prévus ! Combien de membres allemands dans cet Einsatzgruppen ? Seulement une vingtaine, sous le commandement du Colonel Walter Rauff. Le Mufti suggère que ses hommes se chargent de la tâche sur place. En Palestine juive c’est la panique pendant près de deux cents jours : l’armée de Rommel est estimée de loin plus efficace que celle de Montgomery ! Les Anglais sont même prêts à déguerpir de Palestine si Rommel gagne. Mais en signe de bonne volonté ils forment et entraînent une unité de partisans juifs, le fameux Palmah’, qui se repliera sur le Mont Carmel pour organiser une guérilla et finir comme à Massada.
Mais à El Alamein c’est la victoire britannique, avec l’aide notamment de 5.000 Juives palestiniennes volontaires, dont ma maman soldate de la Brigade Juive, et 30.000 Juifs palestiniens. Les Anglais et l’Agence Juive encouragent tout le monde à s’engager dans l’armée de sa Majesté. Beaucoup combattront sur les fronts d’Afrique du Nord, puis en Europe.
Le Yishouv sera sauvé.
Poursuivi comme criminel de guerre après 1945, le Mufti s’échappe (beaucoup grâce à l’aide de Français) et meurt dans son lit en 1974, au Liban. Walter Rauff mourra au Chili en 1984, et sera enterré au son de chants nazis. Ce Mufti a deux grands copains : le fondateur des Frères Musulmans en Égypte en 1928, Hassan El Bana, admirateur de Hitler, qui hait les britanniques, les Français et les Juifs, grand propagandiste islamiste fanatique. Au fait, c’est le grand père de Tarik Ramadan ! Un autre copain est Izz Al Din El Qassam, recherché comme assassin et terroriste et tué par les Anglais en Palestine en 1935 : c’est celui qui remet au goût du jour les notions de Jihad et surtout de Shahid. Au fait les brigades du Hamas aujourd’hui portent son nom.
Non, ce n’est pas le Mufti qui a suggéré à Hitler de tuer tous les Juifs. Le crédit en revient aux nazis. Mais le Mufti a voulu lier les luttes arabes en Palestine aux buts nazis. Il a compté sans l’engagement de ma mère !