L’UNITÉ D’ISRAËL AU-DESSUS DE TOUT
Un commentaire de Sidi Bahi Elyahou Allouche זצ”ל
Traduction et adaptation de Michel Allouche, Jérusalem
Il y a deux ans déjà, tel que les colonnes du P’tit Hebdo l’avaient rapporté, l’emplacement des tombes de Sidi Bahi Elyahou Allouche et de son épouse Sarah a été retrouvé au Har Hazetim, non loin de la tombe du Rabbi Rachach. Sidi Bahi Elyahou Allouche fut le Grand Rabbin et le Dayan de Constantine au XIXe siècle et monta avec son épouse à Jérusalem au soir de sa vie. Nous publions un de ses commentaires édifiants figurant dans son livre Erets Tov, à l’occasion de sa Hiloula le 18 Ména’hem Av (tombant le lundi 22 août).
Le Midrach Téhillim Cho’her Tov affirme de manière la plus surprenante que D-ieu a renoncé à [punir] la transgression de trois commandements : l’idolâtrie, les relations incestueuses et le meurtre, mais qu’Il n’est pas prêt à pardonner l’interdiction du ‘Hiloul Hachem, de la profanation du Nom [divin]. Dans son livre Érets Tov, Sidi Bahi Elyahou Allouche s’étonne : en quoi le ‘Hiloul Hachem serait-il plus grave que ces trois autres fautes pour lesquelles la loi juive nous enjoint de sacrifier notre vie, si nous étions contraints à les enfreindre ?
Sidi Bahi rappelle alors une interprétation talmudique (traité Kétoubot 61, a) selon laquelle, dans les textes sacrés, le terme Adam est strictement associé à Israël. Et de noter qu’en hébreu, il existe quatre mots – chacun avec sa propre nuance – pour désigner un être humain : Ich, Énoch, Guéver et Adam. Or, si l’on rencontre bien les trois premiers mots au singulier comme au pluriel (ichim, anachim, guévarim), le terme Adam quant à lui n’existe qu’au singulier ! C’est que le pluriel marque la division des cœurs et la haine gratuite. Aussi bien le mot Adam, qui n’apparaît jamais au pluriel, fait-il allusion à l’unité parfaite d’Israël. Et ce, en souvenir du premier homme Adam, lorsqu’il ne faisait qu’un avec sa compagne Ève, ainsi que le verset biblique l’indique (Genèse 5, 2) : « Il les créa mâle et femelle, les bénit et les appela Adam, le jour de leur création. »
Par conséquent, lorsque le peuple d’Israël vit en pleine unité, « comme un seul homme et d’un seul cœur », quand bien même ses membres se livreraient-ils à l’idolâtrie, leur rachat demeure toujours possible. Les paroles de réprimande leur sont alors plus faciles à accepter et, grâce à cette unité, ils reviennent dans le droit chemin. En revanche, si la division règne entre eux, personne ne peut être entendu, comme il est dit (Osée 10, 2) : « Leur cœur s’est partagé, ils en portent la peine maintenant. » C’est pourquoi (voir le Midrach Vayikra Rabba 26, 2), à l’époque du roi Achab, malgré leur comportement idolâtre, les enfants d’Israël gagnaient les guerres, contrairement au temps du roi David, où la même unité ne régnait pas et même si les pratiques idolâtres étaient inexistantes…
Ainsi le peuple d’Israël, lorsqu’il est uni, mérite-t-il le nom d’Adam, car ce dernier est justement associé à ce concept d’unité.
Et c’est ainsi que Sidi Bahi apporte une réponse – qu’il me soit permis de la qualifier de géniale – à sa question quant à la sévérité particulière de D-ieu à l’égard de la profanation du Nom, davantage qu’à l’égard des trois fautes que sont l’idolâtrie, les relations incestueuses et le meurtre. Il est possible en effet de comprendre que le ‘Hiloul Hachem, la profanation du Nom [divin], s’adresse aussi à celle du nom (chem en hébreu) Adam. Profaner le nom d’Adam signifie détruire l’unité qu’il symbolise et empêcher toute possibilité de retour vers le bien, fût-ce après avoir transgressé les trois interdictions, pourtant considérées comme des plus graves dans le judaïsme.
Puis-je ajouter en ce mois de Ména’hem-Av qu’il y a peut-être là aussi une explication à la durée insupportablement longue de la galouth, de l’exil, depuis la destruction du deuxième Beth Hamikdach il y a près de deux mille ans. L’exil qui a suivi la destruction du premier Beth Hamikdach n’aura pourtant duré que soixante-dix ans. Or les raisons qui ont conduit à ce premier exil sont précisément liées aux trois fautes : l’idolâtrie, les relations incestueuses et le meurtre lesquelles D-ieu a donc pardonné en permettant au Temple d’être reconstruit. Ce deuxième exil, si interminable, quant à lui, provient de la sinat ‘hinam, de la haine gratuite, celle qui divise le peuple d’Israël et qui conduit à la profanation du nom d’Adam, au sens où Sidi Bahi l’entend. Faute à laquelle D-ieu n’est semble-t-il pas prêt à renoncer si facilement.
Puissions-nous donc passer de la haine gratuite à l’amour gratuit envers chaque juif quel qu’il soit (amour gratuit qui transparaît du commentaire de Sidi Bahi comme le Rav Adin Even Israël Steinsaltz l’a remarqué dans sa préface). Puissions-nous ainsi mériter bientôt l’accomplissement de la prophétie de Malahie (3:23) : « Or, je vous enverrai Elie, le prophète, avant qu’arrive le jour de l’Eternel… » qui précèdera la venue du Machia’h et la construction éternelle du Beith Hamikdach à Jérusalem.