Par Salomé Touitou
Pièce de poème liturgique juif, le piyyout est généralement chanté ou récité pendant l’office. Mais pas seulement. Certains remontent à l’époque du Temple de Jérusalem. Mais ils ont vu le jour tout au long des siècles qui ont jalonné l’ère actuelle jusqu’à l’époque de la Haskala.
Le piyyout ne fait pas à proprement partie de la prière. “Il est là pour l’agrémenter”, explique David Bensoussan. Les piyyoutim ont toujours fait partie de la vie de ce Marocain d’origine, aujourd’hui installé à Jérusalem. Enseignant et directeur d’école au Maroc, il a ensuite été amené à être ministre officiant à Bordeaux et à Toulouse. “A Bordeaux, il n’était pas question de chanter des piyyoutim, car il fallait suivre le rite espagnol-portuguais, mais à Toulouse, nous le faisions beaucoup, à la constantinoise.”
Aujourd’hui, sa santé ne lui permet plus autant de chanter, mais à l’occasion de la hiloula de Rabbi Shimon, ou d’autres cérémonies, David Bensoussan se laisse aller à interpréter des piyyoutim en hébreu sur des airs andalous, genre musical qu’il affectionne particulièrement. Avec, en outre, deux autres cordes à son arc pour accompagner ses prestations vocales : le luth et l’accordéon qu’il manie avec plaisir et passion.
Il n’est pas rare de le rencontrer à l’office de Misgav Ladach, dirigé par son fils, le docteur Michel Bensoussan. Il faut dire que depuis des années, la synagogue est devenu un fief de la communauté sépharade francophone, connue pour son assemblée de paytanim, qui aiment à se relayer, en particulier les soirs de fête, pour chanter les piyyoutim. Parmi eux, maître Michel Abib, un avocat notaire bien connu de Jérusalem.
Un maître en la matière ? David Bensoussan pense en premier lieu au rabbin David Bouzaglo, également natif du Maroc, dont les piyyoutim sont connus pour la richesse de leurs mélodies et leurs textes poétiques. Né en 1903 à Casablanca, il a inspiré de nombreuses générations de chantres et paytanim, au Maroc, jusqu’en 1965, puis en Israël, jusqu’à sa disparition en 1975. Les foules se pressaient, aussi bien pour écouter ses piyyoutim que ses prières, comme à l’occasion de Kippour, dont on dit qu’il connaissait tous les offices par cœur, de Kol Nidré à Neila.
“Dans notre communauté, le piyyout se pratique tout le temps, à toutes les occasions”, note David Bensoussan, “aussi bien pour les mariages, qu’à la synagogue. “A Pessah, par exemple, on rajoute des piyyoutim pour les offices de Arvit et Shaharit.” Et les piyyoutim ont aussi leur recueil, les Bakashot, explique-t-il. Une tradition typiquement marocaine qui consiste à lire pendant les mois d’hiver, entre Souccoth et Pourim, soit très tôt le samedi matin, soit le samedi soir, une nouba. Chaque chabat a sa nouba, une suite musicale, empruntée à la musique andalouse et transmise essentiellement par voie orale. “Il en existait d’ailleurs 24 au départ, mais aujourd’hui, 11 sont restées, et les 13 autres se sont perdues”, déplore David Bensoussan.
Les piyyoutim du Maroc et d’Algérie trouvent en général leur racine en Andalousie. Un genre qui est loin de s’évanouir aujourd’hui. “Au contraire, il s’épanouit”, se réjouit David Bensoussan. Et de citer l’orchestre andalou d’Ashdod, qui s’emploie à perpétuer l’art des piyyoutim, dans l’interprétation mais aussi dans la création de nouveaux morceaux. La formation a d’ailleurs mis sur pied une chorale pour enfants où est enseigné l’art du piyyout. Un art qui repose non seulement sur des talents musicaux et vocaux, mais aussi sur des valeurs de partage et de fraternité. “Les paytanim sont tous des solistes, mais ils aiment se passer le relais. Il n’y a rien de plus beau que d’entendre un membre de l’assemblée entamer un couplet, puis de voir un autre lui succéder. Chanter les piyyoutim, c’est donner sa place à l’autre. Tout le monde est un paytan dans l’âme”, conclut David Bensoussan.