Le célèbre Maggid de Douvna (1740-1804) avait l’habitude de raconter l’histoire suivante : deux hommes d’affaire arrivèrent un jour en ville en même temps. L’un était diamantaire, le second vendait des haltères aux sportifs. Chacun d’eux avait une mallette. Celle du premier était pleine de diamants et de pierres précieuses, la seconde contenait des poids et des haltères. Or les mallettes étaient identiques. Le diamantaire loua les services d’un porteur puis se dirigea vers son hôtel. Quelques temps plus tard, le porteur arriva essoufflé, la mallette à la main et tout en sueur.
- Tu t’es trompé de mallette, lui dit le diamantaire. Je suis désolé mais tu vas devoir retourner récupérer la mienne qui est probablement entre les mains de mon compagnon de voyage.
- Mais comment le savez-vous ? Vous ne l’avez pas même ouverte !
- Inutile de l’ouvrir, lui répondit le diamantaire. Tu es tout essoufflé et ma mallette est légère. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’elle n’a pas de valeur, bien au contraire ! Mes diamants valent bien plus que ses haltères, rajouta-t-il dans un sourire.
Splendeur et Majesté
Les deux premiers versets de notre paracha nous enseignent l’impératif de laisser en permanence une flamme allumée dans le « michkane », ce fameux Temple démontable et portatif qui accompagna nos ancêtres dans leur traversée du désert. On découvre ainsi que cette flamme, ce « ner tamid », devait être allumée à partir d’huile d’olive pure. Rami bar Hama, dans le traité talmudique de Chabbat, déduit des versets le soin tout particulier qui devait être mis au choix de l’huile et à sa qualité : » la flamme doit monter d’elle-même, droite, sans que l’on soit tenu de la surveiller et de l’arranger en permanence ! » (Chabbat 21a et Rachi). Dans la pratique, ce « ner tamid » n’était autre que la flamme qui brûlait sur l’une des branches de la Menora (probablement celle du milieu), la seule qu’on n’éteignait pas avec les autres et à partir de laquelle, toutes les autres étaient rallumées.
Ce soin tout particulier est avant tout, bien entendu, une exigence esthétique. La flamme n’ayant aucun intérêt fonctionnel (Dieu n’a pas besoin d’elle pour y voir clair et le Cohen non plus puisqu’elle brûlait même en son absence !). Il s’agit donc, comme l’explique Maïmonide, de rajouter de la majesté à l’endroit. On devait ressentir une certaine splendeur en entrant et ce « ner tamid » y participait. A propos du verset de Divrey Hayamim : « A toi appartiennent la grandeur, la puissance, la gloire, l’éternité et la majesté », Rabbi Akiva commentera : « L’éternité, c’est Jérusalem. La majesté, c’est le Temple ! » (Berahot 58a).
Quand la harpe se met à jouer
Mais au-delà l’exigence esthétique que sous-entend notre mitsva, il semble bien que cette flamme qui devait monter d’elle-même, soit porteuse d’une autre signification, toute symbolique cette fois. Une expression semblable se retrouve en effet sous la plume du célèbre Ramhal (Moshé Hayim Luzzatto, 1707-1746) lorsqu’il décrit le roi David priant son Créateur et « dont les lèvres bougeaient d’elles-mêmes », tant la joie l’inondait au moment de sa tefila ! : « Son âme était emportée par la joie et du coup ses lèvres bougeaient d’elles-mêmes, sans effort, pour réciter les louanges et composer les Psaumes ! Ne dit-il pas lui-même au psaume 71 : « lorsque je veux te célébrer, mes lèvres entonnent tes cantiques et mon âme te doit sa délivrance » » ?
D’ailleurs, la fameuse harpe de David qui se mettait à jouer toute seule, bercée par le vent de Jérusalem, ne porte-t-elle la même idée ?
Prendre la bonne valise
Trop souvent, en écoutant certains cours, on peut avoir l’impression que Thora rime avec austérité, qu’elle ne peut être étudiée et appliquée que suite à de pénibles efforts, dans la crainte de la punition et avec au fond du cœur, l’angoisse de n’être jamais à la hauteur. Or le but est, bien au contraire, qu’emportés par l’amour de Dieu plutôt que par sa crainte, nous puissions découvrir une Thora souriante et légère, agréable et accueillante et que la flamme puisse s’élever d’elle-même, sans pressions extérieures. Le Maggid de Douvna nous a appris que si tu as l’impression que la mallette est lourde, c’est que tu t’es probablement trompé de valise ! Car la mienne est censée être légère à porter ! Il terminait d’ailleurs son récit en commentant le verset suivant d’Isaïe : « Ce n’est pas Moi que tu as invoqué, Jacob ! Puisque tu t’es fatigué en Moi, Israël ! » (43,22) Commentaire du Maggid : si tu t’es tellement fatigué en Moi, c’est le signe que tu ne M’as pas réellement invoqué : à Mon service, on ne s’épuise pas!
Je reviens ces jours-ci d’un séjour en France et chabbat dernier, j’étais gentiment invité par « la Relève » à participer à un chabbat plein en compagnie d’une centaine de jeunes, étudiants pour la plupart. J’y ai trouvé un judaïsme souriant, une jeunesse qui »achète » les « montées à la Thora » en payant en heures d’étude ou de volontariat (!) dans la joie et la bonne humeur. Il n’était pas difficile de percevoir la flamme du Ner Tamid qui montait d’elle-même, droite et rayonnante.
J’espère voir bientôt leur flamme briller en Erets Israël, le seul endroit où elle pourra dispenser en permanence tout l’éclat de son rayonnement, car l’éternité, c’est Jérusalem et la majesté, c’est le Beth Hamikdach !
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….
Rav Elie Kling