La Shoah, ses souffrances, l’apogée de l’horreur qu’elle a été, a fait l’objet de plusieurs films, livres mais aussi pièces de théâtre. Elisabeth Kedem a conçu la sienne, ”L’inconnue en rouge et noir”, à partir de l’ouvrage du même nom d’Elie Pressmann. C’est à travers la femme dans toute sa pluralité et à travers tous les âges qu’Elisabeth, dans une pièce mise en scène par Cécile Bens’, et accompagnée par Nadia Ruck sur scène, accomplit son devoir de mémoire.
Le P’tit Hebdo: L’inconnue en rouge et noir. Quel titre étrange pour une pièce sur la Shoah…
Elisabeth Kedem: En tant que comédienne et réalisatrice, je suis toujours à la recherche de textes. Il y a quelques temps, je me suis intéressée aux textes qui parlaient des femmes. Je suis alors tombée sur celui d’Elie Pressmann, écrit en 2000. Il est allé voir Auschwitz, il y a observé, notamment des paires de chaussures des déportés. Parmi elles, une paire rouge et noire de femme. Il s’est alors demandé à quelle femme avaient-elles pu appartenir. A son retour, il écrit un journal imaginaire d’une femme juive allemande, de sa naissance en 1909 à sa déportation en 1942. Onze récits avec un prénom à chaque fois différent.
Lph: Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce texte?
E.K.: Ce texte peut se lire sur trois niveaux. Celui des onze femmes qu’il décrit, chacune à une période différente de la vie et de sa vie, du bébé à la femme mûre en passant par l’adolescente. Mais c’est aussi le récit d’une femme, dans le train pour Auschwitz, qui écrit son journal intime, dans l’espoir que ses petits-enfants le liront un jour. Enfin, on a, en filigrane, tout le long, l’histoire de la montée du nazisme et de la Shoah. Ce texte, qui transmet donc la Shoah, est aussi parsemé de joies et d’émotion. Il est fort et m’a parlée. Ce qui m’a paru aussi très convaincant c’est l’analogie que l’on peut faire entre ce que racontent les femmes et le présent. Par exemple, l’une d’elles dit combien il serait bon de vivre en France, terre d’accueil, qui respecte les Juifs. Quand je dis cela sur scène et que je pense à l’actualité, j’ai mal dans mon cœur de femme née en France.
Lph: Pourquoi avoir choisi le théâtre pour transmettre la Shoah?
E.K.: A vrai dire, pour moi, le plus important c’est de transmettre, peu importe le moyen. En tant que petite-fille de grands résistants, je suis très attachée au devoir de mémoire. Je pense que le cinéma est aussi très efficace, d’ailleurs j’ai également joué dans un film sur la Shoah. Le tout est de trouver ce qui va toucher le public. Le théâtre a ceci de particulier qu’il est un art vivant, au plus proche de l’émotion. Je n’établis pas de hiérarchie entre tous ces supports. Cela dépend de l’histoire que l’on raconte et du public que l’on veut atteindre.
Lph: Le public d’aujourd’hui est-il demandeur de pièces ou de films sur le sujet?
E.K.: A mon grand regret, pas tellement. Il est très difficile de proposer une pièce qui parle du devoir de mémoire. Nous avons joué cette pièce, il y a deux ans, et depuis nous tentons de la porter à nouveau sur scène, mais c’est compliqué. Je pense que les gens sont pris dans un quotidien difficile et que lorsqu’ils sortent c’est uniquement pour se distraire et se divertir.
Lph: Comprenez-vous aussi que pour certains, il est difficile de venir passer une soirée au théâtre autour de la Shoah, tout simplement parce qu’il leur parait inconvenable de mettre en scène cette période de l’histoire?
E.K.: Oui, je peux le comprendre. La Shoah est indicible dans son essence. D’ailleurs au moment où je vous parle, je me dis ”comment puis-je parler de la Shoah?”. Mais je me demande aussi de manière encore plus forte: comment faire pour que nos enfants, nos petits-enfants et toutes les générations futures se sentent concernés par leur histoire? Certains l’ont entendu de leurs proches, rescapés de la Shoah, mais que fait-on pour l’ensemble du peuple et face à la disparition progressive de ces survivants? Je pense que pour se sentir concerné, il faut pouvoir s’identifier. Les gens ne lisant plus autant qu’avant, un film ou une pièce de théâtre permettent cette identification nécessaire.
Lph: Votre pièce met en scène des personnages féminins. Quelle est la touche que la femme que vous êtes et que celles que vous incarnez sur scène apportent dans la transmission de la Shoah?
E.K.: La femme est une mère, elle aura toujours un rapport différent à la vie et à l’histoire. Par ailleurs, j’ai une admiration sans bornes pour ma grand-mère, résistante, pour son courage. Aussi cliché que cela puisse paraître, je trouve que le courage d’une femme face au nazisme prend une autre dimension que celui d’un homme. Les femmes qui ont traversé cette période la tête haute et qui ont payé dans leur chair et parfois de leur vie le prix de leur courage sont encore plus impressionnantes. C’est pourquoi aussi cette pièce est importante: elle représente une femme et en même temps onze femmes. Chacune exprime un visage de la femme et le spectateur s’attache à chacune pour ce qu’elle symbolise.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Crédit photo: Yonathan Sindel / Flash90