Les funérailles de Job
Du rapport alarmiste qu’ont fait les explorateurs de leur voyage en Israël, une phrase a particulièrement frappé les esprits. On devine qu’elle a été soigneusement pensée, que les mots ont été scrupuleusement pesés (en même temps, ils avaient 40 jours pour y réfléchir !). Un vrai slogan publicitaire : bref, concis, terriblement efficace et qui en hébreu tient en 4 mots : ארץ אוכלת יושביה היא, c’est une terre qui dévore ses habitants ! On connait la suite : le peuple, découragé, perd toute confiance en lui et en Dieu et pleure toute la nuit. C’est le premier 9 av de l’Histoire.
Mais qu’est-ce qui a bien pu amener ces hommes à un tel constat ? L’une des éventualités proposées par le Talmud demande explication. Les Cananéens auraient participé en masse aux funérailles de Job qui venait de mourir. Du coup, nos espions avaient tout loisir pour prendre des notes sur le pays sans être repérés (Sota, 35a). Mais ils ont mal interprété l’évènement et en ont déduit que cette terre dévore ses habitants. Curieuse affaire ! Que vient faire Job dans cette histoire ? Que représente-t-il et pourquoi devrait-il mourir au moment où les Hébreux étaient censés entrer en Erets Israël ?
Job le silencieux
Et si la réponse se trouvait dans une autre histoire enseignée par nos Sages ? Pharaon, raconte le midrach, avait trois conseillers : Yitro, Job et Bilam. Lorsqu’il leur dévoila son plan pour résoudre définitivement le problème juif en tuant systématiquement tous les enfants mâles, Bilam approuva. Yitro s’opposa (puis dut s’enfuir à Midyan pour éviter la réaction royale). Job, lui, se tut.
Job personnifie donc l’indifférent. ]Sans doute est-ce parce que ce n’est qu’à la fin de son livre qu’on le voit prier pour les autres: “Et Dieu compensa les pertes de Job après qu’il eut prié pour ses amis” (42,10)[ . Or s’il est bien un défaut que la terre d’Israël ne supporte pas, c’est l’indifférence. Pour que les Hébreux entrent au pays, il fallait d’abord que l’on enterrât Job !
J’ai longtemps pensé que, concrètement, cette mort de Job c’était ce sentiment de solidarité qu’on ne rencontre qu’ici. Récemment encore la tragédie de la famille Hasday mettait en évidence ce paradoxe israélien. D’une part cette violence inacceptable qui cause la mort d’Offir, tué pour une dispute stupide autour d’une place de parking et d’autre part, l’incroyable élan de solidarité de tout un pays : en quelques heures c’est plus de 2 millions de shekels qui ont été recueillis pour venir en aide à Dikla, sa veuve, et à ses enfants dont 2 sont handicapés. “Des dizaines de gens sont venus de tout le pays m’apporter leur soutien, me rendre visite, des gens que je ne connais pas, que je n’ai jamais vus”, a-t-elle déclaré, émue et reconnaissante, durant les shiva. La mort de Job, me disais-je, ce sont ces centaines de petites histoires de solidarité dont pratiquement chacun d’entre nous a été un jour le témoin ou le bénéficiaire.
Pour l’amour de Sion
Mais mon dernier séjour dans l’Hexagone m’a fait découvrir un autre aspect de ce récit talmudique. Il se trouve que j’ai été amené à parler dans plusieurs synagogues et centres communautaires durant ce séjour et, parfois, le discours mentionnait la centralité d’Israël et la place que celui-ci devrait prendre aujourd’hui dans la vie de chaque Juif. Je n’ai pas énormément insisté, vous me connaissez, amis lecteurs ! Je n’ignore pas que le sujet est encore tabou pour certains et a le don de mettre parfois l’auditoire mal à l’aise. Nos frères résidants en Exil ont en effet souvent l’impression qu’en parlant d’Israël en tant que vecteur incontournable de l’identité juive contemporaine, nous leur faisons le reproche de ne pas nous avoir encore rejoints. Or, personne n’aime s’entendre reprocher sa conduite, surtout quand il ressent qu’il pourrait bien avoir un petit quelque chose de fondé dans la critique. Donc, je n’insiste pas et ne fais en général qu’effleurer le sujet. Si, si. Mais cela suffit parfois pour provoquer quelques débats, plus ou moins animés. Ainsi, à un fidèle qui me disait après ma petite dracha, qu’il n’avait jamais entendu ce genre d’actualisation de la paracha, je lui demandais ce que disait le rabbin lorsqu’il abordait le sujet. Sa réponse me surprit : “il n’en parle jamais”, puis après un moment de réflexion : ” à moins que quelqu’un lui pose directement la question suite à un éventuel projet d’Alya, auquel cas, il lui demande si le projet a été suffisamment réfléchi et s’il est bien sûr que c’est le meilleur choix à faire pour lui et sa famille”…
C’est alors que j’ai pris conscience de l’énorme responsabilité des cadres rabbiniques de la Diaspora. Confrontés à un taux d’assimilation qui, chaque année, bat son propre record, face à un environnement de plus en plus hostile et qui n’est pas près de s’adoucir, devant l’extraordinaire réalisation des antiques prophéties nous décrivant le rassemblement des exilés et le reboisement d’Erets Israël que nous sommes en train de vivre, une trop grande partie d’entre eux (pas tous, fort heureusement), n’ont simplement rien à dire ! Ni pour, ni contre. Le silence. L’exil de la Parole est devenue la parole de l’Exil !
Je crois que c’est Dostoïevski qui disait que le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine mais l’indifférence.
Job le silencieux, Job l’indifférent, est un obstacle au retour d’Israël sur sa terre. C’est encore Isaïe qui formula le mieux cette vérité (62,1) :
“Pour l’amour de Sion, je ne me tairai pas, pour Jérusalem, je n’aurai point de repos, tant que son salut n’ait éclaté comme un jet de lumière et sa victoire comme une torche brûlante”
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….
Rav Elie Kling
Photo: Dr Avishaï Teicher
Cher Rav
Je ne doute pas de votre sincérité et de votre passion pour votre communauté mais votre lien avec Job est un total anachronisme. Symboliquement intéressant mais absolument pas crédible. Tous les exégètes sont d’accord pour dire que le livre de Job a été rédigé après notre 1 er Exil à Babylone et donc il n’a rien à voir avec l’entrée des Hébreux en terre de Canaan Aucun rapport! Même rétrospectivement sur un plan symbolique! Job est un récit de lamentations sur le mode narratif sumérien (sud de la Mésopotamie dominée par la Perse) Le récit de Job est un acte de foi en Hashem pour conforter notre peuple de ses tribulations et de notre déportation historiquement 600 ans après notre entrée en terre promise.
Un récit rabbinique pour conforter le peuple hébreu après exil !!
Job n’a aucun lien avec l’entrée des explorateurs en Israël
Un midrash, Mr Sergio, n’a aucun réalisme ni valeur historique Il utilise des personnages représentant une image,un caractère,une situation ou un problême et les met ensemble pour identifier les possibles réponses et attitudes que peuvent prendre les hommes devant une situation difficile. Ne cherchons jamais la vérité historique dans le midrash mais seulement la vérité symbolique et profonde de l’histoire. Le rav King nous rappelle comment le midrash nous montre que le silence peut être une des réactions à des situations morales difficiles. Job,le saint homme, comme Aaron à la mort de ses deux fils, ne comprend rien à ses malheurs et se tait pendant sept jours. De même les rabbins et les juifs encore en exil.Mais la suite, heureusement, sera bien différente dans le Livre de Job : il ne cessera d’engueuler ses soi-disant amis et de réclamer justice à Dieu. De cela le midrash ne parlera pas car ce n’est pas ici le thême de son discours.CQFD
Merci @Annette siegal de répondre avec justesse et sagesse à l’intervention biaisée du sieur @Sergio26. Evidemment que le Midrach que cite le Rav Elie Kling est connu et sert symboliquement de nous dire que l’indifférence est pire que l’hostilité manifeste, l’histoire n’a rien à faire ici et est superflue CQFD. D’ailleurs l’épisode de Job n’est qu’un complément et n’est pas le sujet de l’article du Rav Elie Kling. Le sujet est “l’indifférence” des pairs du Rav Elie Kling diasporiques devant l’accomplissement des prophéties Toraniques par l’avènement de l’Etat d’Israël Sioniste des Judéens.
Belle leçon Elie
Il est bien évident qu’il ne faut retenir que le message du midrash
Le midrash étant un vecteur pédagogique il faut le prendre en tant que tel avec beaucoup de recul. Il n’a pas de valeur historique dans le sens universitaire
Je me permets de signaler concernant la référence à Dostoievski cité dans ce commentaire, que cet auteur, quoique reconnu pour son oeuvre littéraire, était (comme beaucoup de son époque et de son pays) hostile aux Juifs, (certains le qualifient d antisemite maladif), par exemple dans une de ses œuvres un personnage prétend que les Juifs tuent des enfants, leur coupent les doigts…
On a beau être un grand écrivain, cela n empêche pas d être englué dans les travers de son temps …