« Moïse dit à ‘Hovav, fils de Reouel, beau-père de Moïse (Yithro) : “Nous partons vers l’endroit dont Dieu a dit : c’est lui que Je vous donnerai. Viens avec nous. Nous te ferons du bien car Dieu a promis le bonheur pour Israël[1].” »
Yithro refusa tout net :
« Je n’irai point. Je veux retourner dans mon pays et dans ma patrie[2]. »
Moïse insiste et supplie :
« Ne nous abandonne point : tu connais notre campement dans le désert et tu seras pour nous des yeux[3]. »
Que signifie cette supplication étonnante ?
Qu’elle était merveilleuse la traversée du désert ! C’est Dieu Lui-même qui était le guide :
« Lorsque Dieu en donnait l’ordre, les Enfants d’Israël voyageaient et lorsqu’Il en donnait l’ordre, ils campaient[4]. »
Qui dans l’histoire a mérité de vivre si proche d’Hachem ? Le détail de cette vie en symbiose avec Dieu est décrit juste avant le dialogue entre Yithro et Moïse.
Que se passe-t-il après ce dialogue ? La Thora raconte la réclamation des Hébreux qui voulaient manger de la viande[5]. Difficile à comprendre : ils avaient des bêtes en quantité[6] et en plus la manne avait le goût désiré par celui qui en mangeait[7].
Cette faute n’est pas comparable aux cris qu’ils poussèrent pour demander de l’eau lorsqu’ils en furent privés. C’est pourquoi, ici, Dieu se met dans une grande colère et leur dit : « Je vous en donnerai jusqu’à ce qu’elle vous sorte par le nez ! » Et effectivement, ils mourront de leur gloutonnerie[8].
Nos Sages[9] ont expliqué que ce que désiraient les Hébreux, ce n’était pas tant de la viande que la manière de la manger : ils voulaient « s’empiffrer », se débarrasser des lois de sainteté qui accompagnent la consommation de la nourriture. Les Sages du Midrach Rabba vont plus loin encore : il ne faut pas comprendre le mot « viande » au sens propre : c’est le plaisir de la chair qu’ils recherchaient[10]. Les Enfants d’Israël recherchaient un chef spirituel qui abolirait les exigences de la morale : « Qui nous fera manger de la viande ? » disaient-ils, c’est-à-dire qui réformera notre religion dans le sens de nos désirs ?
Moïse craignait cette chute : voyager avec Dieu est magnifique pour celui qui en est à la hauteur, mais étouffant pour celui qui n’a pas atteint un réel niveau spirituel. Il avait peur que les Enfants d’Israël rejettent les contraintes des lois en pensant que ce qu’on leur demandait était inaccessible. Aussi supplie-t-il Yithro. Toi, « tu connais notre campement », c’est-à-dire notre privilège de vivre si proches de Dieu, et tu connais aussi toutes les idolâtries. Toi, qui n’es pas juif, qui n’es pas astreint à vivre selon les préceptes de la Thora, témoigne par ta présence qu’elle est la plus désirable et tu seras un témoin vivant de la supériorité des lois. « Tu seras pour nous des yeux », c’est-à-dire tu seras pour mon peuple l’exemple à suivre, la reconnaissance par le monde extérieur de la suprématie de nos valeurs.
Ce qui devait arriver arriva. Après le refus de Yithro, l’échec de la dernière tentative de Moïse pour enrayer la chute qu’il pressentait, la Thora raconte que « les Hébreux quittèrent la montagne de Dieu » et nos Sages expliquent qu’ils s’enfuirent de la montagne de Dieu comme un enfant s’enfuit en courant de son école[11].
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko »A la table de Shabbat »
Pour se procurer l’ouvrage:
hesder2@gmail.com
029972023
[1] Nombres x, 29.
[2] Ibid., 30.
[3] Ibid., 31.
[4] Nombres ix, 15-23.
[5] Nombres xi, 10.
[6] Rachi s/Nombres xii, 10.
[7] Rachi s/Nombres xi, 8.
[8] Nombres xi, 33.
[9] Bamidbar Rabba 15, 24.
[10] Bamidbar Rabba 15, 24.
[11] Yalqout Chimoni §729 ; cf. Tossafot s/Chabbat 116a.