Parmi les nombreux documentaires que les chaînes de la télévision israélienne diffuse en cette journée de Yom Hashoah, tous plus émouvants les uns que les autres, il y a un sur lequel je suis tombé et qui m’a particulièrement ému: « Nous nous souviendrons. De tous? » de Youval Haïmovitz-Zusser et Simon Schechter – 2016.
C’est l’histoire de Jutta Hartman z.l. née Rottenberg, décédée en 2015 à l’âge 93 ans. Cette héroïne dont très peu de gens connaissaient l’existence fut l’une des dernières survivantes de la révolte du ghetto de Varsovie. Jusqu’à son dernier jour, cette femme vaillante aura souffert face à une profonde ingratitude mais elle aura aussi lutté pour que vérité soit dite et que justice soit rendue: celle de faire entrer dans l’Histoire ces valeureux combattants de « l’Union militaire juive » (Irgoun Tsvaï Yehoudi) dirigée par Pawel Frankel, et dont le seul défaut aura été de se trouver dans le « mauvais camp » politique.
Dans son livre magistral « Des drapeaux au-dessus du ghetto de Varsovie » (2009) l’ancien ministre Moshé Ahrens, faisant oeuvre de justice historique z.l. racontait l’histoire héroïque de ces combattants du Beitar qui prirent une part active au soulèvement aux côtés de l’Organisation juive de combat (OJC) dirigée par le légendaire Mordekhaï Anielewicz. Dans son rapport officiel sur le soulèvement du ghetto, celui qui fut le commandant des troupes SS lors du soulèvement, Jurgen Stroop, écrivit que l’une des images qui lui resteraient de cet épisode serait celle de ces jeunes de l’Union militaire juive hissant un drapeau polonais et le drapeau bleu-blanc juif sur le toit d’un immeuble.
A l’époque, Jutta Hartman-Rottenberg, âgée de 22 ans, risquait sa vie presque quotidiennement sa vie en sortant clandestinement du ghetto avec deux seaux munis d’un double fond afin de ramener des pistolets et des grenades, qu’elle recouvrait avec des poissons à forte odeur afin de dissuader d’éventuels soldats zélés de fouiller trop loin. Après la révolte elle et des amis se cachèrent dans un bunker qui fut ensuite découvert par les SS. Ils le firent sauter mais par chance, Jutta fut l’une des rares survivantes et fut envoyée au camp de Maïdanek, puis dans des camps de travail avant d’être emmenée dans la terrible Marche de la mort à laquelle elle survécut également jusqu’à l’arrivée de l’armée soviétique.
Après la guerre Jutta retourna un temps dans son village natal de Kielce en Pologne et monta en Israël en 1952 avec son mari et son fils aîné. Depuis lors, Jutta z.l. vécut durant presque toute le reste de sa vie cette immense frustration de voir que son combat et celui de ses camarades de l’UMJ fut totalement occulté de l’historiographie officielle et des programmes scolaires sur décision politique de David Ben-Gourion. Lors du procès Eichmann, l’une des héroïnes de l’insurrection, Tsvia Lubetkin, fut appelée à témoigner et raconta les événements sans faire la moindre référence à la participation des jeunes du Beitar et de l’UMJ.
Jutta se consacra entièrement à la réhabilitation de cette vérité historique et livra un combat de Sisyphe pour que l’on recueille son témoignage, avec en triste et douloureux exemple une rencontre qui fut organisée entre elle et Simh’a Rotem (né Szymon Rathajzer) z.l, dit « Kaj’ik » l’un des proches de Mordekhaï Anielewicz, qui lors de cette rencontre tenta de la ridiculiser et de la mettre en défaut en mettant même en doute sa présence dans le ghetto lors de la révolte!
Un jour, son fils se rendit au musée du kibboutz Lohamei HaGhettaot, qui lui-aussi avait écrit une histoire très partielle, et il eut la surprise de voir que sa mère non seulement ne figurait pas dans la liste des participants à la révolte mais qu’elle était inscrite dans un autre registre comme… »morte à Varsovie »!!
En 2010, elle apprit quelle avait été nommée « citoyenne d’honneur » de la ville de Varsovie mais elle refusa de s’y rendre, ayant juré qu’elle ne remettrait plus les pieds en Pologne.
Ce n’est que dans les dernières années de sa vie et après des démarches compliquées que Jutta Hartman-Rottenberg fut reçue par le directeur du musée et eut même droit à allumer un flambeau en 2008 lors de la cérémonie de Yom Hashoah dans l’enceinte du musée.
« Le combat est gagné, mais la blessure sera toujours là », avait alors confié cette héroïne au journaliste qui la filmait.
Cette blessure due à une haine politique qui a voulu laisser en-dehors de la mémoire nationale le combat de jeunes héros qui furent prêts à mourir pour l’honneur du peuple juif mais qui furent relégués dans l’ombre durant des décennies.
Photos Famille