Soixante-dix ans après sa création, Israël reste l’un des États les plus controversés du monde. Dans un récit en forme d’enquête, Israël 70 ans, 7 clés pour comprendre, Martine Gozlan déconstruit les préjugés sur cet État-nation qui s’assume et qui dérange.
Martine Gozlan est Grand reporter et Rédactrice en chef à l’hebdomadaire Marianne. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Maghreb et le Moyen-Orient. Son dernier livre, Israël 70 ans, 7 clés pour comprendre, vient de paraître aux éditions de l’Archipel.
FIGAROVOX – Dans Israël 70 ans, 7 clés pour comprendre ( éditions de l’Archipel), vous tentez de déconstruire un certain nombre de préjugés sur Israël. Pourquoi ce pays est-il si controversé aujourd’hui en Europe? Comment expliquez-vous ce désamour d’une partie de l’Occident pour Israël?
Martine Gozlan: Israël est un cas singulier. Il n’existe aucun autre Etat fondé par les héritiers d’un peuple qui vécut plusieurs millénaires auparavant sur un territoire, en pays souverain, puis vassalisé, en fut chassé, mais ne l’oublia jamais. Car le «Souviens-toi!» – «Zakhor!»- est la clé de l’existence juive. C’est une histoire inouïe. Cette étrangeté radicale prolonge, pour le monde qui l’observe, l’étrangeté juive. De sorte qu’après une brève parenthèse d’empathie pour l’Etat hébreu, due à la réverbération effrayante de l’extermination, l’Occident, l’Europe se sont empressés d’appliquer à Israël la même grille d’élucidation qui fut utilisée avec les juifs du passé. L’Etat juif leur demeure un mystère indéchiffrable. D’où cette antipathie dont les causes profondes sont innommées, tapies dans les profondeurs de l’inconscient, et les causes apparentes adossées à un certain nombre d’éléments géopolitiques qui ne produiraient pas le même effet s’ils s’appliquaient à un autre Etat.
Votre premier chapitre s’intitule «une mémoire qui dérange». Israël apparaît aujourd’hui comme un Etat-nation qui assume à la fois sa souveraineté et son héritage historique et culturel tandis que l’Europe post-nationale et post-historique semble avoir honte de son passé. N’est-ce pas cet attachement d’Israël à son identité nationale qui dérange autant? A tel point qu’un intellectuel comme Zeev Sternhell, dans une forme de paradoxe absolu, n’hésite pas à qualifier aujourd’hui Israël d’Etat «prénazi»…
Israël incarne ce que la culture politico-médiatique dominante s’acharne à flétrir depuis plusieurs décennies pour ce qui est de la France : la force de la transmission, la foi en ses valeurs …
Effectivement l’hypermnésie israélienne incommode les observateurs qui, par ailleurs, ne cessent de louer la légitimité du retour aux racines, de la célébration de l’héritage et des traditions d’un grand nombre d’autres peuples. C’est même là-dessus que s’appuie le multiculturalisme, si déférent par rapport au culte des ancêtres de populations avec lesquelles l’Europe entretient des rapports de culpabilité. Mais, en ce qui concerne Israël, c’est autre chose. Israël, c’est de l’Europe et de l’Orient, les descendants des victimes qui se sont redressés et ne le seront plus jamais. C’est la souveraineté assumée sans complexes sur les bases d’un héritage européen, en intégrant des populations juives orientales, face à un monde arabe et islamique encore dominé par tous les archaïsmes. Israël, démocratie occidentale, ne pratique pas la culture de l’excuse, ne s’interdit pas de riposter quand l’existence de ses citoyens est menacée aux frontières, fouille sans cesse son passé antique, une réalité dont l’Unesco a voulu faire une fiction en niant le lien des juifs avec le mont du Temple/ Esplanade des mosquées. Il y a dans l’Etat hébreu un véritable amour de la patrie et il transcende les clanismes, les divisions bien réelles, souvent tragiques, des nouvelles tribus d’Israël. Le seul fait que cette magnifique expression semble obscène à certains, ici, en dit long sur notre propre malheur. Israël, en ce sens, incarne ce que la culture politico-médiatique dominante s’acharne à flétrir depuis plusieurs décennies pour ce qui est de la France: la force de la transmission, la foi en ses valeurs, le don de soi au pays en même temps que l’absolu bonheur d’être parmi les siens malgré les frictions inévitables. Je ne dresse pas un tableau idyllique: je dépeins un socle qui prolonge celui de la mémoire. Quant à Zeev Sternhell, son attitude, vue d’Israël, n’est pas étonnante: le judaïsme a l’habitude, et même la primeur, des imprécations apocalyptiques! Toute l’histoire juive, depuis l’Antiquité, est zébrée d’invectives internes, d’excommunications sans appel. Un premier ministre, Yitzhak Rabin, a été assassiné le 4 novembre 1995 par un jeune juif fanatique et ce n’était pas le premier assassinat politique. Zeev Sternhell, après tout, reflète une certaine normalité juive de la malédiction! C’est un Israélien à 100% mais qui exprime les sentiments de moins d’1% des Israéliens. Le problème, c’est que sa tribune, publiée en Israël, sort en France, immédiatement instrumentalisée par ceux qui haïssent l’Etat hébreu.
Vous montrez que l’antisionisme est souvent le faux nez de l’antisémitisme. Mais ne peut-on pas critiquer la politique d’Israël sans être accusé d’antisémitisme? Cet amalgame n’est-il pas contreproductif?
On le pourrait parfaitement si, depuis plusieurs décennies, la seule critique d’une politique n’avait pas été peu à peu instrumentalisée pour servir à la condamnation globale d’un Etat. La contestation s’est muée en diabolisation. Tout, absolument tout, est jugé mauvais de ce pays qui, par ailleurs, développe en matière de recherche scientifique, médicale, agricole, industrielles, des approches bénéfiques au développement de l’humanité. Cette diabolisation culmine avec l’absurde et imbécile campagne du BDS – Boycott, désinvestissement, sanctions- qui se nourrit de tous les ferments vénéneux de l’antisémitisme. En enquêtant sur les votes pro-Boycott dans plusieurs municipalités de la banlieue, j’ai découvert, chez les inspirateurs de ces motions désolantes, que la haine d’Israël se doublait de la haine de la France. Le soutien à la Palestine – légitime- a cessé depuis très longtemps d’être une cause pour devenir un alibi.
Beaucoup d’Israéliens me faisaient remarquer que Donald Trump ne devait pas se prendre pour Dieu en leur offrant une ville qu’ils chantaient quotidiennement depuis deux mille ans !
La décision de Donald Trump de déplacer l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem a déclenché une réelle ferveur en Israël et réjouit une majorité des juifs du monde entier. Comprenez-vous qu’elle puisse inquiéter une partie de l’Europe?
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