Cette année encore, mes enfants m’annoncent qu’ils seront à la Yeshiva pour Rosh Hashana et Yom Kippour. Là-bas, disent-ils, on ressent vraiment l’intensité du moment : l’ambiance générale est propice au recueillement, la prière est prenante, c’est la Yeshiva quoi ! Alors nous, on sera sans vous ? Et la famille alors ? Et le soir de Rosh Hashana autour de la table ? Et le seder de Rosh Hashana ? Quoi ??? répondent-ils, tu veux comparer un repas, des usages culinaires et une ambiance familiale avec ce qu’on vit à la yeshiva ??? Les synagogues de quartier sont sympathiques, mais rien à voir avec une prière de yeshiva !
A leur âge, je suis aussi parti à la yeshiva pour ces fêtes, mais aujourd’hui en tant que père de famille je vois les choses différemment.
Les moments d’étude à la yeshiva/mekhina/midrasha sont extraordinaires dans la vie des jeunes garçons et des jeunes filles. Ces jeunes décident de s’adonner à l’étude, ils découvrent le monde juif avec profondeur et intensité, ils sont en contact avec des enseignant(e)s qui les accompagnent dans leur étude et recherche identitaire. Pendant ces années, ces enseignants que j’apprécie d’ailleurs, sont pour nos enfants plus significatifs que les parents. Il faut dire qu’ils sont spécialistes de ces âges et savent aborder les problématiques qui les interpellent avec professionnalisme. Seulement voilà, il faut garder les proportions dans toute chose. La Yeshiva/mekhina/midrasha ne peut se substituer à la famille, les enseignants tout érudits(e)s soient-ils ne peuvent prendre la place des parents. La maison et les traditions qu’elle véhicule sont le fondement de la vie du Judaïsme. La tradition vivante, telle que je l’ai vécue chez mes parents, et mes parents chez leurs parents et ainsi de suite, constitue la Torah orale, la Massoret. Et cette dernière ne se limite pas à un folklore, elle est ce qui a gardé le peuple et sa vitalité. Manitou insistait sur l’importance de Torat Haav face à Torat harav (l’enseignement du père via l’enseignement du rav). La maison, c’est la famille, la rencontre, c’est la tradition, c’est la vie avec ses hauts et ses bas, avec ses cris et ses joies ; c’est dans une maison qu’on apprend la vraie vie et qu’on se positionne en acteur qui perpétue la tradition pour les générations futures. C’est là-bas qu’on façonne notre famille de demain. C’est certes moins exotique qu’un repas et une prière d’un groupe homogène, mais c’est là que les vrais dilemmes de la vie se posent : un enfant dissipé, un frère désintéressé, une sœur en plein adolescence, un père nerveux, des cousins ennuyants mais aussi des chants, des sourires et de la tendresse, beaucoup de tendresse. C’est dans ce cadre qu’on apprend la Torah vivante. Alors, pas pour une opposition virulente aux fêtes en dehors de la maison, on peut connaitre et vivre aussi autre chose ; mais le message des yechivot et midrashot doit être clairement en faveur de la famille et ne pas chercher à se substituer à elle, malgré toutes les tentations.
Dr Mikhaël Benadmon, directeur éducatif des programmes Atid Israël, directeur de Maarava pour la formation des rabbins sépharades, maitre de conférences en philosophie.
Tout dépend du cas