Plusieurs jours se sont écoulés depuis la fuite de Bachar el Assad et l’effondrement du régime syrien, dont nous sommes chaque jour les témoins des dernières péripéties. Comment l’apprécie-t-on à Jérusalem ? Surtout, est-ce un développement positif pour Israël ?
Sans aucun doute, il s’agit d’un développement majeur, de nature à rebattre les cartes non seulement pour Israël mais pour l’ensemble du Moyen Orient. Pour ce qui est de savoir si ses conséquences sont positives pour Israël, je crois que la réponse se doit d’être mitigée car bien sûr il existe encore énormément d’inconnues dans cette nouvelle équation qui se dessine.
Nous pouvons en pointer quelques-unes :
D’abord, la complexité de ce nouveau leadership qui a pris le pouvoir en Syrie, que l’on désigne sous le terme générique de rebelles mais constitué en grande partie par des leaders islamistes radicaux dont une grande partie avait fait allégeance à Al Qaeda, d’autres à l’Etat islamique c’est-à-dire Daësh. Certes ils sont sunnites mais c’est le cas également des Frères musulmans et du Hamas, donc inutile d’imaginer une quelconque immunité pour nous. Il n’y a pas de bons islamistes, de fondamentalistes modérés. C’est une vue de l’esprit. Et depuis le 7 octobre 2023 nous savons qu’il nous est impossible d’envisager de laisser ces fous de Dieu s’installer à nos frontières.
D’autre part, la Syrie de Assad était un Etat souverain, au sens classique du terme. C’est toujours plus aisé de devoir affronter un Etat structuré et unitaire plutôt qu’un territoire livré à la pagaille d’organisations terroristes, extrémistes et fondamentalistes. Regardez ce qui se passe en Irak notamment.
Il nous faut également nous méfier de l’Iran qui certes, sort affaibli de l’effondrement de ce pays dans lequel ils étaient en territoire conquis, sur lequel ils avaient la main mise, y avaient organisé le cœur de ce qu’on a appelé le « croissant chiite » depuis Beyrouth jusqu’à Aden au Yémen. Sans compter bien entendu l’infrastructure de soutien militaire au Hezbollah libanais. Ceci-dit, j’ai appris de me méfier des Iraniens surtout lorsqu’ils semblent affaiblis. C’est eux qui ont appris au Monde que l’on peut mettre son adversaire « mat » même si l’on perd sa reine et ses cavaliers…. Plus sérieusement je crois qu’il faut s’attendre à une surenchère dans la course au nucléaire dont la question devra être réglée car ces derniers mois nous ont appris que l’Iran dispose sans conteste de la capacité balistique pour expédier des ogives nucléaires bien loin de ses frontières.
Il convient également de souligner le rôle joué par la Turquie, l’autre grand acteur majeur de ce qui se passe en Syrie. Il semble être encore trop tôt pour en analyser l’importance mais nous pouvons déjà pointer quelques éléments majeurs.
Nous sommes les témoins de la rivalité historique entre les deux grands empires musulmans mais non arabes : le Perse et l’Ottoman. Chacun cherchant à s’imposer comme le leader régional voire global.
La Turquie libérale et occidentalisée n’a pas réussi à retrouver les lustres du passé, échouant même à se faire accepter par l’Europe, ce qui explique pourquoi depuis plus de 20 ans, Erdogan cherche à rétablir la puissance de la Turquie et partant, du futur empire ottoman rétabli, en s’appuyant d’une part sur une myriade d’organisations de l’Islam sunnite radical dont nous retrouvons la trace notamment en Syrie et d’autre part sur l’union souhaitée des pays turcophones par le biais notamment de l’Organisation des Etats turciques dont il avait initié et encouragé la création au début de ce siècle. L’effondrement du régime alaouite de Bachar El Assad est une aubaine pour la Turquie qui, rappelons-le, occupe déjà depuis près de 10 ans un peu plus de 10% du territoire syrien.
C’est une réalité géopolitique qui offre à la Turquie de nouvelles opportunités : imaginez un gazoduc partant du Qatar, allié indéfectible d’Erdogan qui pourrait enfin, maintenant que la Syrie est libérée de l’influence iranienne mais aussi russe, parvenir jusque sur les côtes méditerranéennes de la Turquie, c’est-à-dire aux portes de l’Europe. Une alternative au gaz russe proposée au vieux continent qui cherche désespérément à s’affranchir de cette dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou….
Le rêve de la Grande Turquie qui se dessine sous nos yeux.
Ce sont des développements majeurs dont nous devons chaque jour apprendre les implications pour Israël et nous y préparer.
Daniel Saada était ambassadeur d’Israël en France