Résumé épisode 12 :
A la recherche de Moszek Feinstein, des hommes ont massacré toutes les personnes du « Kibboutz Diamantkring ». Une véritable tuerie qui a débuté dans le réfectoire, puis qui s’est propagé dans le reste du village. Moszek de son côté a réussi à tuer trois hommes dans un combat au corps à corps, sauver ainsi tout un groupe de personnes âgées. Ils se sont ensuite enfermés dans un abri souterrain. Moszek a été mortellement blessé. Les parents de Moïse ont sauvé de très jeunes enfants, ainsi que leur fille de quatre ans, Ella. Yaël a perdu la vie sous les yeux de Moïse. Choqué ce dernier est resté comme pétrifié, incapable de réagir.
La fuite des enfants
Kibboutz Diamantkring – Haute Galilée, nord Israël, samedi 9 mai 1998
Dans le dortoir, debout, Moïse est incapable de faire le moindre mouvement. Une voix résonne dans sa tête : « vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah » encore « vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah » et encore « vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah », « et sa femme a regardé derrière lui… », dit la voix. Il n’y a aucun rapport apparent avec ce qui se passe en ce moment, avec cette tragédie, à cet instant, ou si peu. Aucun rapport avec Yaël qui gît, inerte, inconsciente, rouge de sang. Moïse reste figé, tel une statue de sel, tel la femme de Loth qui a désobéit aux commandements. Lui n’a rien fait de mal, mais il a eu ce pressentiment qu’il ne devait pas se retourner. Que se serait-il passé s’il ne s’était pas retourné ? Des larmes coulent sur ses joues. Dora a pris Yaël dans ses bras, lui a déchiré la chemise pour voir sa blessure. Partout du sang. « Vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah ».
Dora le regarde, confirme l’impensable, la voix cristalline de Yaël s’est éteinte à jamais, son chant d’amour est pour toujours étouffé. Tel un oiseau aux ailes brisées, là, devant Moise qui répète comme un mantra « vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah,… vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah,… vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah ». Pas un mot ne sort de sa bouche.
David incroyablement réactif, d’un calme et d’un sang-froid à toute épreuve, a rapidement pris des initiatives. Tel le leader charismatique qu’il sera dans quelques années, il a commandé et guidé la tribu sans hésitation. Il a rassemblé les enfants et les a couchés derrière les lits. Dora toujours près de Yaël, essaie de prendre la main de Moïse, pour le protéger aussi, mais trop tard.
Une balle traverse la pièce, heurte la tempe de l’adolescent et vient s’écraser contre le mur du réfectoire. Moïse tournoie et tombe près de Yaël. On dit qu’à l’heure de sa mort, on voit défiler le film de son existence. Moïse entend cette chanson, « My Yiddishe Momme », cette phrase en hébreu « vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah » et des mots dans diverses langues, qui n’ont pas vraiment de sens, qu’il ne comprend pas toutes d’ailleurs : « vorsichtig sein », « je moet het onkruid trekken », « La tarkud », « dzieci są mądre », « ty ne sobirayesh’sya yest’ eto? », « ghjè una macagna ? ». Il n’y a pas d’images mais des mots multicolores, sur un fond noir, et puis les bourdonnements dans les oreilles, comme un hélicoptère au loin.
David se précipite vers Moïse, visiblement choqué il a les yeux dans le vague. La balle n’a fait que l’effleurer, pourtant la plaie saigne abondamment. David tire Moïse vers une porte. Il tend la main vers la poignée. Le carreau d’une vitre explose. Une autre balle traverse le réfectoire, déchire la cloison de la porte et continue sa route. Dora empêche les plus jeunes de se redresser. Ils sortent tous. David passe le bras de Moïse autour de son propre cou et le lève, le porte littéralement à l’extérieur, le long du mur.
Abrités derrière le bâtiment, accroupis ou couchés, tremblants, les enfants se serrent les uns contre les autres. David envisage la fuite. Il mesure mentalement la distance qui les sépare de la clôture du village. Il connaît ce chemin. Il fait le trajet presque chaque jour. Un passage dans le grillage leur permettra de quitter le kibboutz discrètement, sans éveiller l’attention des tueurs. Qui sont-ils d’ailleurs ? Les Libanais attaquent souvent les villages en ce moment. C’est le plus probable.
Derrière le hangar, David entend un coup de feu, des corps qui tombent, des corps que l’on traîne sur le sol, des corps que l’on jette dans le hangar comme des vieilles poupées de chiffon. La lune projette l’ombre du hangar en bois vers eux, c’est une chance. David entend un autre bruit derrière le hangar. Celui du jerrican d’essence acheté dans un surplus militaire, que l’on pose sur le tracteur. A l’oreille David peut estimer la quantité d’essence dans le jerrican métallique, presque plein. L’homme fait le tour du hangar en déversant de l’essence. Il l’enflamme à l’aide d’un briquet. Le bois s’embrase rapidement.
Une fillette derrière David et Moïse a un hoquet, l’homme se retourne. David fait reculer le groupe et appuie sur le dos de Moïse, pour l’aplatir. David continue à regarder en direction du pyromane. Il le voit distinctement à présent, dans la clarté des flammes qui dévorent le hangar. Moïse aussi. David est hypnotisé par la main, posée sur l’arme de guerre, prête à pointer dans leur direction et à cracher la mort. Il ne pourra jamais oublier ces quelques secondes. Il retient inconsciemment sa respiration. Les yeux de l’incendiaire sont fixes, vers eux. L’homme avance sans détourner la tête, David s’affaisse encore. Barbe parsemée, foulard, pull militaire, svelte, la trentaine, peau mate, type méditerranéen, ou… David essaie de deviner ses origines : – Bédouin ? Libanais ? Druze ? Palestinien ? Arabe israélien ? Juif séfarade ? Comment savoir ?
Un autre assaillant arrive. Dissimulé par un arbre, David ne voit que sa veste militaire, pas de sigle, ni de drapeau. Le militaire siffle entre ses dents pour appeler le pyromane. Celui-ci regarde une dernière fois en direction des enfants, tourne les talons puis disparaît en deux enjambées derrière le hangar en flammes.
La nuit, complice, qui leur vole leurs proches, leurs familles, leurs frères, leurs sœurs, leurs mères, leurs pères, leurs grands-mères, leurs grands-pères, protège et enveloppe la fuite des jeunes kibboutznikim. Encore quelques pas, puis ils devront courir. David porte Moïse en l’agrippant par la taille. Il entend un bruit et se jette au sol. Les enfants l’imitent. Ils se fondent littéralement dans le fossé. Un homme passe au pas de course. Les plus jeunes ne veulent plus avancer, ils pleurent doucement, par peur plus que par fatigue.
A cet instant, Moïse regarde vers le ciel. La lune est ronde, pleine, avec des dégradés de rouge, blanc et jaune. Il cligne des yeux. Une branche strie l’astre de la nuit et en plein centre, un oiseau les observe. En se concentrant sur l’oiseau, Moïse devient lucide, la brume se dissipe, les bourdonnements cessent presque. Moïse tourne la tête, regarde le silence du Kibboutz, autant que cela soit possible. Il entend la fin de la fusillade. Il pense à la femme de Loth, aux anges de Sodome, à la faute : « Et sa femme a regardé derrière lui, vatabet ishto meakharav vatehi netsiv melah. »
La petite Shoshana est près de Moïse. Les yeux remplis de larmes, d’une voix fragile, elle supplie Moïse : – aide-nous Moïse, sauve-nous…
Moïse passe sa main sur le visage de Shoshana. Il essuie ses joues, l’embrasse sur le front, puis se lève. Il transpire, du sang coule toujours de sa plaie. David essaie de le tirer vers lui mais Moïse résiste. Il marmonne quelque chose qui ressemble à « Venez ! »
Moïse prend la main de Shoshana, un garçonnet dans les bras et fonce vers un champ, les autres suivent. Une maison et deux fermes se dressent devant eux, mais ils ne s’arrêtent pas. Ils se faufilent derrière la maison, derrière les fermes, derrière les arbres, et courent pendant un temps interminable. Dora, David et Moïse soutiennent les plus jeunes, n’hésitant pas à les prendre sur leur dos ou dans les bras. Aux champs se succèdent les forêts, puis la roche, la montée interminable et enfin la grotte. Quand le jour pointe sur les crêtes du mont Méron, ils arrivent à destination, en sécurité loin du massacre. L’entrée n’est pas très grande, mais tous les enfants s’y glissent sans peine, même les plus grands.
Moïse avance dans la pénombre, tâtonne, trouve les allumettes qu’il avait glissées dans un petit sac plastique et une lampe à huile très ancienne. Il frotte les allumettes et tend la lampe à David. Moïse a la tête qui tourne, l’impression d’être ivre. Il s’allonge contre un rocher. Moïse connaît bien ce rocher tout en arrondi, il est venu de nombreuses fois dans la grotte, il s’y est allongé avec Yaël…
– Yaël !
Moïse perd connaissance.
Kibboutz Diamantkring – Haute Galilée, nord Israël, dimanche 10 mai 1998
Un coq chante, des chèvres bêlent, près de l’enclos gisent trois corps sur le sol. Des bâtiments sont calcinés. D’autres corps dans le kibboutz sont recouverts d’un drap. La police et l’armée sont là. Ils font les premières constations et secourent les survivants. Des ambulances par dizaines, des villageois qui observent, le chaos. Israël vient de subir un nouvel outrage.
Le groupe de Moszek est toujours enfermé dans l’abri souterrain. Dans un coin sombre, sur un matelas de fortune, Aya tient Moszek, mourant dans ses bras. Un dernier soupir, presque radieux et ce vieil homme au parcours unique, ce vieil homme qui a presque fondé un pays, murmure : – tu avais raison pour les diamants, il fallait les laisser en Corse.
Une phrase pour la postérité ? De l’humour ? Maintenant ? Aya ne sourit pas à la boutade. Elle le sert très fort contre elle et pleure, elle l’embrasse et dit : – Barouh Dayan haemet, mon Balagan.
Les médias de tous les pays annoncent le massacre et énumèrent le nombre de victimes, morts et blessés. Magen David Adom évoque une cinquantaine de décès et autant de blessés plus ou moins graves. L’attentat le plus meurtrier depuis la création d’Israël, dénoncent les médias. Des corps ont été brûlés dans l’incendie de certains bâtiments du Kibboutz et rendent les identifications difficiles. Les défunts devraient être rendus très rapidement à leurs familles, comme l’exige la tradition juive, tant Ashkénaze que Séfarade. Une quinzaine d’enfants auraient disparu. Des civils des villages environnants se sont immédiatement portés volontaires pour aider l’armée et la police dans l’organisation d’une battue gigantesque. Tous veulent retrouver les enfants, y compris des bédouins-musulmans du village de Tuba-Zangaria. Le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et plusieurs membres du Gouvernement sont déjà sur place.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le prochain épisode des « AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE MOÏSE LEVY».
https://www.facebook.com/les.aventures.extraordinaires.de.Moise.Levy