Résumé épisode 9 :
Moïse aide Noah à préparer la mission de sauvetage de David en Turquie, ce qui n’empêche pas l’agent du Mossad de l’enfermer dans l’appartement, pour sa sécurité. Moïse regarde la télévision et découvre aux informations que l’agence de renseignement turque MIT a démantelé un réseau d’agents du Mossad, dirigé depuis Tel-Aviv par un certain Jonathan Abner. Moïse se souvient que Jonathan Abner est un surnom « d’espion », inventé par David quand ils étaient enfants. Un inconnu entre dans l’appartement.
Josef Grese, l’ange de la mort
Kibboutz Diamantkring – Haute Galilée, nord Israël, samedi 9 mai 1998
Une soixantaine de personnes, hommes, femmes, enfants, vieux, jeunes, sont réunis dans le réfectoire, une salle avec un volume important, une décoration inexistante et un ameublement réduit à sa plus simple expression. De grandes tables coupent la pièce en deux. Les sièges, habituellement disposés autour des tables, sont installés face à un écran de télévision. Les plus jeunes sont assis sur des gros cousins multicolores, jetés à la diable sous la véranda. Ils profitent de cette liberté inhabituelle, que leur offre la sélection d’une israélienne au « concours Eurovision de la chanson ».
Moïse 15 ans et des poussières, partage un gros coussin avec Yaël, sa chérie et future promise. Il n’y en aura pas d’autre. D’aussi loin qu’ils se souviennent, ils ont toujours été amis, mais maintenant, c’est autre chose, les premiers émois amoureux.
Dans l’après-midi Moise s’est fait piéger par la malicieuse Yaël. Ils avaient prévu de se rendre – après le pic de chaleur – dans le fameux champ de tournesols ; une brillante et saugrenue idée de son créatif de père, qui espérait développer une activité autour de l’huile.
Les deux jeunes amoureux venaient observer des montgolfières. Un club a été fondé à Afoula et propose des vols jusqu’au mont Méron, en passant juste au-dessus des tournesols.
Yaël et Moïse passèrent l’après-midi dans ce champ, seuls au monde, à discuter et à échanger des baisers, toujours à l’initiative de la jeune fille. Moïse est allongé dans l’herbe, les yeux fermés. Il demande à Yaël si elle veut rentrer.
– attends, je change de tee-shirt, j’ai transpiré, répond Yaël.
Il n’en faut pas plus au jeune Kiboutznik pour ouvrir les yeux et tourner la tête. Là, une vision d’horreur, une des pires choses de toute sa vie, ou la plus belle, il ne sait pas, il ne sait plus, en tout cas son sang ne fait qu’un tour-trois-quart. Yaël, qui lui tourne le dos, a retiré son tee-shirt pour en mettre un autre. Déjà sur le chemin, Moïse s’était demandé pourquoi Yaël ne portait pas son habituelle brassière. Là c’était trop pour lui. Il met les mains sur ses yeux et crie : – Lè’h timkor kéra’h Yaël
– Quoi ? Tu veux que je m’enrhume ?
– C’est moi qui m’enrhume. Tu me ventes le cerveau là !
En fait Yaël, n’a pas besoin de subterfuge féminin pour « venter » le cerveau de Moïse, il suffit qu’elle soit près de lui. Sous la véranda, Moïse la regarde, le temps semble suspendu, ou au moins ralenti. Le brouhaha du réfectoire est moindre, atténué, cotonneux. Le jeune garçon croit entendre cette douce ballade interprétée par Yehudit Ravitz, qui parle de pardon et d’amour : « Hou ni-h’o’-ah’ leilo, shel ha-gouf, shel ha-gouf (humer la nuit, goûter le parfum de nos corps) ».
Parfois Moïse à l’impression de vivre dans une comédie musicale, que chaque étape de sa jeune existence se déroule sur une scène, sous les yeux d’un public et d’un metteur en scène, sans doute ce qui le rapproche le plus du divin. Ici le divin s’appelle Yaël. Ses yeux sont d’un vert émeraude profond, comme des pierres précieuses étincelantes. Ils sont encadrés par de longs cils noirs qui accentuent leur beauté saisissante. Sa peau, d’une teinte olive, témoigne de ses origines séfarades. Elle est subtilement parsemée de taches de rousseur dorées, ajoutant une touche d’innocence à son charme. Ses cheveux, d’un brun profond, sont épais et soyeux. Son visage est délicatement ovale, avec des pommettes hautes qui ajoutent une touche de grâce à son apparence. Sa silhouette svelte et élégante, avec des courbes douces, soulignent une féminité qui tranche avec ses habits de paysan Kiboutznik, une chemise blanche mal recousue et usée au-delà du raisonnable, un jean trop masculin pour elle, et des pieds nus avec des épaisseurs sous les talons. Ses lèvres pleines se courbent en un sourire radieux.
– Ferme la bouche, tu baves sur mon genou, dit-elle sans détourner la tête d’un livre de poche, qu’elle tient à bout de bras.
– Que-toi-lire ? demande Moïse.
Yaël lui montre la couverture : « A hora da estrela ».
– Clarice Lispector ? Connais-pas.
– T’inquiète, c’est seulement l’auteure brésilienne la plus importante du vingtième siècle.
– Juive ?
– Oui, quoi d’autre ? Tu t’ennuies ? Dit Yaël en étirant son bras et ses jambes. Moïse tourne la tête et voit sa grand-mère, qui lui fait signe d’approcher. Il se lève et bouscule Yaël de manière intentionnelle.
– Sli’ha, s’excuse Moïse
– Léhitraot, au revoir, au revoir, répond Yaël en lui donnant un coup de pied.
Moïse entame un long périple de plusieurs mètres, reléguant la sortie d’Égypte à une randonnée de santé. La télévision égraine les points. Des spectateurs se mettent à hurler, à l’annonce des résultats. Israël est en haut du classement et la caméra revient plusieurs fois sur la candidate, « Dana International », qui a interprété la chanson « Diva ». Elle est en top position pour remporter cette édition du crochet musical.
Moïse traîne les pieds, marche à pas lents, très très lents, en direction de ses grands-parents. Il prend le temps de les observer et visiblement ils se disputent. L’un et l’autre agitent les mains avec véhémence.
– approche Moshèh, lui dit Moszek, son grand-père.
Il tire Moïse par le bas du tee-shirt et lui tend la main : – Si tu es d’accord avec moi, je t’achète le permis de conduire … Mazal u’bracha ?
– Daï, dit Aya en tapant sur la main de Moszek.
Moïse sourit. Depuis toujours il est certain que ces deux-là sont les inventeurs du « Pilpoul ». Il suffit que l’un dise une chose pour que l’autre prétende le contraire. Moïse les a vu discuter âprement une journée entière de la texture d’un grain de café. La légende familiale prétend qu’ils ont la même dispute – qui dure depuis plus de 60 ans, une histoire de diamants.
– Diana-machin… dit le grand-père.
– International, Diana International, ponctue la grand-mère
– L’israélienne de l’eurovision, tu penses qu’elle pourrait se marier avec moi ?
– Pourquoi ?
– c’est entre ta grand-mère et moi. Répond !
– Lo, dit Moïse.
– Et pourquoi pas ?
– Sinon tu serais polygame.
– Maiiiiiis si j’étais célibataire ? Demande Moszek.
– Je vais lui donner le guett, plaisante Aya.
– A moi tu vas donner le guett ? Manque de s’étouffer le vieil homme. Aya et Moïse rient.
– Moïse ? Ton avis ?
– Lo, tu ne pourrais pas épouser Diana, répond Moïse.
– Elle ne voudrait pas d’un vieux machin, ajoute Aya.
– C’est de la discrimination !
Moszek croise les bras.
– Imagine que je sois très riche, insiste Moszek.
– Là c’est beaucoup d’imagination, plaisante Aya. Explique-lui pourquoi ce n’est pas possible, sinon il va passer une mauvaise nuit.
– Tu ne peux pas te marier avec un homme.
– Oy vaï ! Quel homme, s’exclame Moszek en regardant l’écran, juste au moment où la chanteuse israélienne est filmée.
– Il ont dit qu’elle à 26 ans et qu’elle s’appelle Sharon Cohen… Regarde comme elle est belle…
– C’est une transsexuelle. Son prénom de naissance est Yaron, précise Moïse. Je ne crois pas que Bibi accepte de vous marier.
– Toi ton permis pfff…. tu vas te le payer tout seul, menace Moszek.
Aya s’apprête à dire qu’elle payerait le permis de Moïse, le présentateur annonce : « 172 points pour Israël ! Israël gagne… » le reste est inaudible. Les cris, les hurlements de joie, les embrassades.
– La nuit va être longue au Kibboutz Diamantkring, dit Aya
Moïse cherche Yaël du regard, mais c’est une autre scène qui l’interpelle, une vraie dispute, ses parents. La mère de Moïse est d’ordinaire très tolérante et les conflits sont rares dans sa famille. La voir énervée, tenir tête à son époux est incroyablement surprenant.
Moïse passe devant Yaël, longe la véranda et se rapproche des arbres où ses parents discutent avec emportement. Il se dissimule derrière un arbre dans l’obscurité du jardin.
– Il faut arrêter avec cette histoire, ce n’est pas possible, s’exaspère la mère.
– Écoute, je n’ai pas rêvé, dit son père. Non, je n’ai pas rêvé.
– Tu as vu Josef Grese, à Tsfat, à 15 kilomètres, ici, en Israël ? Dit la mère en articulant chaque mot.
– Ken !
– Je récapitule. Les pires monstres de l’histoire de l’humanité ont un enfant, que personne ne connaît. Josef Grese serait le fils de Josef Mengele « Todesengel, L’ange de la mort d’Hitler » et Irma Grese « La hyène d’Auschwitz ».
La mère marque un temps et reprend : – Mengele est mort au Brésil en 79 et Grese en 45 à Hamelin. Selon toi, elle aurait eu le temps d’avoir un enfant de Mengele… que personne n’a vu, tov ?
– Ils ont dit qu’elle a avorté dans les camps, interrompt le père, mais c’est faux.
– Elle a eu un garçon, à Auschwitz, qui porte le prénom de son père et le nom de sa mère. Pas très discret.
– Il a des pseudos, s’énerve le père de Moïse.
– Oui pas discret quand même « Todesengel » comme papa, dit la mère en faisant la grimace. C’est un délire complet.
– Daï, arrête ce cynisme, je te dis que je l’ai vu.
– Attend, attend. « Josef-Grese-Todesengel-comme-papa » est un néo nazi, qui vient à Tsfat. C’est ça ?
Le père ne répond pas.
– Et toi tu le reconnais. Tov ?
– Je te rappelle que j’ai traqué des nazis pendant 20 ans. J’ai poursuivi l’assassin de ma famille jusqu’au Brésil.
– Et on t’a interdit de le tuer, c’est pour ça que tu as quitté l’organisation, dit la mère.
– Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Demande le père.
– Tourner la page !
– Tu plaisantes ?
– Todesengel est à Tsfat ? Tant mieux ! Qu’il fasse du tourisme, s’emporte à nouveau la mère.
– Je n’ai pas le cœur à tes plaisanteries, dit le père en s’éloignant. La mère le suit. Ils continuent à discuter mais Moïse ne les entend plus. Il revient vers la véranda.
Les grands-parents de Moïse passent à côté de lui. Moszek se penche vers son petit-fils et lui désigne plusieurs jeunes orthodoxes avec des instruments, qui jouent de la musique klezmer autour d’une table. Certains tapent des mains, une jeune femme joue du violon et deux autres de la clarinette et de la guitare. Devant la télévision le groupe des spectateurs de l’eurovision se dandinent en rythme sur le titre disco de la gagnante. Chacun y va de son pas de danse. Des plus jeunes sautent en se tenant par les épaules et en tournoyant.
– Tu penses qu’ils savent que Sharon c’est Yaron ? Dit Moszek le plus sérieusement du monde.
Yaël s’approche en souriant. Moszek la regarde et demande à Moïse : – Tu n’as pas une belle petite Sabra comme ça, pour moi ? Mais une vraie…
Toutes les lumières du Kibboutz s’éteignent à ce moment-là. Le grand-père amateur de Witz lève les yeux au ciel et dit : – ça va, ça ne coûte rien de demander.
Moïse ne sait pas que c’est la dernière blague de son grand-père.
Yaël met sa main dans celle de Moïse et le tire.
– Tu connais Josef Grese ? Demande Moïse.
Yaël fait non de la tête.
– Viens ! On nous demande de coucher les enfants.
Moïse regarde des parents qui discutent.
– Oy ! Eux ils sont trop occupés ?
– Oy, oy, oy, oy, oy fait Yaël en éclatant de rire. Et après, si tu es sage, tu auras droit à un câlin.
– Alors n’attendons pas, dit Moïse en se dirigeant vers les enfants qui jouent près de la véranda.
– Les affreux ! On bouge ! Tous aux dortoirs !
Il se met devant eux, comme un berger qui dirige un groupe de mouton. Le groupe se replie vers un bâtiment attenant, malgré la protestation des plus jeunes, qui voudraient prolonger la soirée.
Ils entrent en file indienne dans le dortoir et courent vers la salle de bain. David et Dora ferment la marche. Yaël tire Moïse vers elle.
– Attends, je vais te donner un échantillon, dit Yaël, puis elle sert Moïse contre elle et l’embrasse.
Les enfants chahutent. Moïse se retourne vers eux pour les réprimer.
Un coup de feu éclate. Moïse sent la main de Yaël qui lui échappe.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le prochain épisode des « AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE MOÏSE LEVY».
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